A compter de 2021 pour des actes passés à partir de 2020, l’article L. 64-A du Livre des procédures fiscales permettra aux services fiscaux de mettre en œuvre la procédure d’abus de droit pour fraude à la loi lorsqu’ils estimeront que ces actes étaient motivés par un objectif « principalement fiscal ».
Le 3 juillet dernier, l’administration fiscale a modifié le Bulletin officiel des Finances publiques-Impôts en faisant savoir que, selon elle, cette procédure concerne tous les impôts, à l’exception de l’impôt sur les sociétés (BOI-ISBASE-70-20190703, § 90). Une telle exclusion ne manque pas de surprendre dans la mesure où elle ne résulte ni de l’article L. 64-A du Livre des procédures fiscales ni des travaux parlementaires.
Deux séries d’enseignements peuvent en être tirés.
D’une part, il faut en déduire que l’administration fiscale entend limiter le champ d’application de l’abus de droit à but principalement fiscal essentiellement à l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur la fortune immobilière et aux droits de mutation, notamment aux droits de donation et de succession. Cela revient à cibler cette forme d’abus de droit sur les particuliers.
D’autre part, est-ce à dire que les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés n’ont rien à craindre ? Non, car dans le même temps le législateur a institué l’article 205 A du Code général des impôts qui prévoit que, « pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés, il n’est pas tenu compte d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents », posant ainsi la question de son articulation avec l’article L. 64-A du Livre des procédures fiscales.
Ce dernier prévoit une garantie en faveur des contribuables, en l’occurrence la possibilité de saisir le comité de l’abus de droit fiscal. Cette garantie n’existe pas dans le cadre de l’article 205 A du Code général des impôts.
Au final, l’interprétation du 3 juillet permet aux services fiscaux de reprocher aux redevables de l’impôt sur les sociétés d’avoir poursuivi un but principalement fiscal tout en leur permettant de s’affranchir des garanties procédurales qui entourent l’abus de droit fiscal. Si tel était le cas, la privation de cette garantie poserait la question de la constitutionnalité de l’article 205 A du Code général des impôts, tout comme celle de l’article L. 64-A du Livre des procédures fiscales qui reste entière.
Tout cela donne la désagréable impression que les textes fiscaux sont comme le langage des fleurs, il serait possible de leur faire dire une chose et son contraire. L’Etat a beaucoup à y perdre. La recherche d’un objectif principalement fiscal est avant tout rendue possible par la piètre qualité de nombreux articles du Code général des impôts.
Cette insécurité fiscale ne fait que saper chaque jour davantage le consentement à l’impôt qui est l’un des principes sur lequel repose notre pacte social.
Arlette Darmon,
Notaire à Paris, Monassier & Associés et Présidente du Groupe Monassier
et
Frédéric Douet,
Professeur de Droit fiscal à l’Université de Rouen-Normandie.
Article paru dans Les Echos le 19 septembre 2019
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