Nous revenons plus en détail sur les modifications apportées par l’administration fiscale à sa doctrine concernant le régime d’exonération Dutreil.
Pour rappel, le dispositif avait été remanié par la loi de finances pour 2019, et l’administration fiscale avait fait paraître ses commentaires des nouvelles dispositions le 6 avril 2021, en les soumettant à un processus de consultation publique, auquel le Groupe Monassier avait répondu.
Ces commentaires avaient surpris sur plusieurs points, qui semblaient remettre en cause des schémas fréquemment pratiqués, ou dénaturer la logique du dispositif. La doctrine s’en était offusquée, et l’administration fiscale a décidé de revoir sa copie. C’est chose faite avec la publication, le 21 décembre dernier, de nouveaux commentaires qui corrigent le tir, et qui apportent par ailleurs des précisions éparses.
CORRECTIONS :
Fonction de direction post-transmission
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 6 avril 2021 : Jusqu’au 6 avril dernier, l’administration admettait qu’à l’issue de la transmission, la fonction de direction pouvait être assurée soit par un associé signataire d’un engagement de conservation, soit par un bénéficiaire de la transmission signataire d’un engagement individuel de conservation. Dans la version du BOFIP de 6 avril 2021 toutefois, elle restreignait drastiquement son interprétation, en considérant que « A compter de la transmission, un associé signataire de l’engagement (y compris le donateur) ne peut exercer l’activité professionnelle principale ou, le cas échéant, la fonction de direction dans la société que s’il continue de détenir des titres de cette société soumis à un engagement de conservation », ce dont elle déduisait que « Dès lors que l’ensemble des titres soumis à engagement a été transmis, la direction de la société doit être assurée par l’un des héritiers, légataires ou donataires. »
Cette interprétation avait suscité de nombreuses critiques, car elle empêchait la pratique de schémas de transmission basés sur l’exercice de la fonction de direction par le donateur, après la transmission.
Retour à l’interprétation antérieure au 6 avril 2021 : L’administration semble avoir entendu les critiques, puisque la nouvelle version du BOFiP prévoit désormais que « pendant la totalité de cette période » (c’est-à-dire l’engagement collectif ou unilatéral de conservation et les trois années qui suivent la transmission), la fonction de direction doit être exercée par l’un des associés signataire de l’engagement unilatéral ou collectif de conservation « y compris, par tolérance, lorsque cet associé a, depuis la signature de cet engagement, transmis tous les titres qui y sont soumis », ou par un bénéficiaire de la transmission. (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 390).
L’administration procède ainsi à un rétropédalage qui permet l’exercice de la fonction de direction par le donateur même après la transmission, sans qu’il faille qu’il ait conservé des titres.
Codirection et « réputé acquis »
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 6 avril 2021 : Dans la droite ligne de son interprétation de la condition relative à la fonction de direction, l’administration fiscale concluait que « L’exonération partielle ne trouve donc notamment pas à s’appliquer en cas d’engagement réputé acquis lorsque le donateur continue à exercer son activité professionnelle principale ou la fonction de direction dans la société après la transmission ».
Ce faisant, le BOFiP allait au-delà de la réponse ministérielle « Moreau », qui considérait simplement que la condition n’est pas remplie si le donateur assure lui-même la fonction de dirigeant de la société (RM Moreau n° 99759 JOAN 7 mars 2017, p. 1983). Avec cette version du BOFiP, la condition n’était pas non plus remplie si un bénéficiaire de la transmission exerçait la fonction de direction, dès lors que le donateur continuait aussi à en exercer une. Autrement dit, le BOFiP condamnait toute hypothèse de codirection de l’entreprise, pourtant fréquente en pratique, et souvent nécessaire pour « passer la main ».
Retour à l’interprétation antérieure au 6 avril 2021 : La nouvelle version du BOFiP corrige le tir, puisqu’il est désormais simplement précisé que « En cas d’engagement réputé acquis, l’un des héritiers, donataires ou légataires doit exercer une fonction de direction afin de remplir les exigences du d de l’article 787 B du CGI. Néanmoins, cela n’exclut pas qu’un autre associé, y compris le donateur, exerce également une autre fonction de direction. » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 395).
F. Fruleux souligne que la précision ne concerne que l’exercice de la fonction de direction, et que le BOFiP reste silencieux sur l’hypothèse des sociétés soumises à l’impôt sur le revenu, où le CGI n’évoque plus la « fonction de direction », mais « l’exercice de l’activité professionnelle principale ». ll considère toutefois qu’il ne s’agit pas d’une exclusion à proprement parler, mais d’un abus de langage, le BOFiP regroupant parfois les deux notions sous le seul vocable de « fonction de direction ».
Sociétés interposées
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 6 avril 2021 : Le BOFiP du 6 avril continuait d’admettre que « L’engagement de conservation peut être souscrit par une personne morale. Cette personne morale peut être une société interposée entre le donateur ou le défunt et la société dont les titres font l’objet de l’engagement de conservation ». Toutefois, l’administration avait ajouté une condition, en décidant que « la transmission à titre gratuit ne bénéficie de l’exonération que si son auteur est aussi partie à l’engagement », et que « les personnes physiques porteuses de parts de sociétés interposées qui souhaitent les transmettre sous le bénéfice de ces dispositions doivent être signataires de l’engagement collectif de conservation dans la société cible. »
La doctrine avait soulevé le contresens d’une telle interprétation : la raison d’être du régime des sociétés interposées est de pouvoir appliquer l’exonération Dutreil à des sociétés détenues indirectement ; or, l’administration exigeait désormais une participation directe dans la société cible…
Retour partiel à l’interprétation antérieure au 6 avril 2021 : L’administration revient sur cette interprétation, en expurgeant le BOFiP de tous les commentaires qui spécifiaient une exigence de détention de participation dans la société cible. (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 87 et 375).
En revanche, elle demeure plus exigeante qu’auparavant concernant les conditions que doit remplir l’associé de la société interposée pour bénéficier de l’exonération. Elle exige en effet que « les associés personnes physiques d’une société interposée doivent détenir depuis la conclusion de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation sur la société cible les titres de la société interposée pour lesquels ils souhaitent bénéficier de l’exonération partielle », ce qui semble se rattacher à l’exigence de conservation inchangée des participations avec niveau d’interposition de l’article 787 B, b, 3 du CGI. (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 375).
F. Fruleux résume ainsi les conséquences du BOFiP sur les modifications de l’actionnariat de la société interposée :
« – La cession réalisée par un associé n’invalide pas en soi l’engagement collectif souscrit sur les titres de la société cible et n’empêche pas les autres associés société interposée faitière de bénéficier de l’exonération partielle lors de la transmission de leurs titres (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n°130, al. 1er, 21 décembre 2021).
– elle empêche en revanche l’associé cédant de se prévaloir de l’engagement collectif ultérieurement lors de la transmission des titres de la société interposée qu’il a conservés (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 130 al. 2, 21 décembre 2021).
– Seule la conclusion d’un nouvel engagement collectif de conservation sur les titres de la société cible permettrait à cet associé de prétendre au bénéfice de l’exonération lors de la transmission de la participation reliquataire conservée dans la société interposée.
– Si elle n’influe pas sur la possibilité pour les autres associés de cette société ayant conservé leurs participations de bénéficier du régime de faveur, l’acquisition de titres de la société interposée ne permettra pas à l’acquéreur de bénéficier de l’exonération lors de la transmission de ces titres tant qu’un nouvel engagement de conservation n’aura pas été conclu postérieurement à l’acquisition sur les titres de la société cible. »
Apport à une société holding (FBO)
Composition du patrimoine de la société holding
En principe, l’apport des titres soumis à une engagement de conservation emporte remise en cause du bénéfice du dispositif, sauf, par exception, dans le cas de l’article 787 B, f du CGI, c’est-à-dire en cas d’apport à une société holding « dont la valeur réelle de l’actif brut est, à l’issue de l’apport et jusqu’au terme des engagements de conservation mentionnés aux a et c de l’article 787 B du CGI, composée à plus de 50 % de participations dans la société qui sont soumises à ces mêmes engagements. » C’est sur cette exception que repose le schéma de « family buy out ».
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 6 avril 2021 : L’administration avait retenu une interprétation littérale de ce seuil de 50 %, en considérant que « Pour apprécier ce seuil de 50 %, il y a lieu de prendre en compte la valeur vénale des seules parts ou actions de la société soumises à ces engagements, à l’exclusion des éventuels titres de cette société qui n’y sont pas soumis », ce que la doctrine regrettait pour la rigidité trop importante qui en résultait.
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 21 décembre 2021 : Dans la nouvelle version du BOFiP, l’administration retient au contraire que « Pour apprécier ce seuil de 50 %, il est toutefois admis de prendre en compte la valeur vénale de toutes les participations dans cette société, y compris celles qui ne sont pas soumises à ces engagements de conservation. » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 81)
Il n’y a donc plus lieu de retenir uniquement les participations « dutreillées », mais bien toutes les partitions dans la société transmise, ce qui permettra de rassurer les praticiens et de redonner de la souplesse au mécanisme du FBO.
Détention du capital de la société holding
Il faut encore, pour bénéficier de cette dérogation, que 75 % au moins du capital et des droits de votes de la société holding soient, à l’issue de l’apport, détenus par les personnes soumises aux engagements de conservation.
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 6 avril 2021 : L’administration distinguait deux périodes :
- En cours d’engagement collectif, tout signataire de l’engagement collectif ou unilatéral, dont le donateur, pouvait être pris en compte pour la détermination du seuil de 75 % ;
- Au cours de l’engagement individuel, seuls les bénéficiaires de l’exonération étaient pris en compte pour la détermination du seuil de 75 %.
Interprétation résultant de la version du BOFIP publiée le 21 décembre 2021 : L’administration revient sur sa position pour l’assouplir, en admettant que durant l’engagement individuel de conservation, « le ou les donateurs puissent détenir plus de 25 % du capital et des droits de vote de la holding, à la condition que la majorité du capital et des droits de vote soit détenue par les bénéficiaires de l’exonération partielle. » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 86).
PRECISIONS
Bercy profite de cette nouvelle mouture du BOFiP pour apporter des précisions çà et là, ou répondre à des interrogations qui avaient pu être formulées par la doctrine. On soulignera notamment que :
- Les activités de marchand de biens sont désormais expressément visées comme étant éligibles (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 15) ;
- S’agissant de la nécessité que la société transmise exerce une activité éligible de façon prépondérante, il est désormais prévu qu’en cas de pluri-activités éligibles, il est tenu compte de l’ensemble de ces activités pour apprécier la prépondérance (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 20) ;
- La réponse ministérielle Ses Esgaulx (n° 5329, JOAN du 26 aout 2008, p. 7344) est intégrée, qui admet que « toutes conditions étant par ailleurs remplies, lorsqu’aucun des héritiers ou légataires n’est en mesure de poursuivre effectivement l’exploitation (enfants mineurs, incapacité), les héritiers puissent bénéficier de l’exonération partielle dans la mesure où un mandataire administre et gère l’entreprise pour le compte et dans l’intérêt d’un ou plusieurs héritiers identifiés » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 70) ;
- En matières de sociétés interposées l’exigence du maintien des participations inchangées est précisée : La condition de maintien inchangé des participations à chaque niveau d’interposition s’appréciant en nombre de titres, la seule circonstance que le taux de participation indirect dans la société cible qu’ils représentent diminue en raison d’une augmentation de capital, n’est pas de nature à faire obstacle au bénéfice de l’exonération partielle, sous réserve que les associés conservent un nombre de titres au moins égal à celui qu’ils possédaient au moment de la signature et que les seuils minimums de droits financiers et de droits de vote prévus au 1 du b de l’article 787 B du CGI continuent d’être respectés. (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 130)
- S’agissent de l’appréciation de l’éligibilité de l’activité de la société, il est précisé qu’elle doit être vérifiée « pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation », et que « L’abandon d’activités et l’exercice d’activités nouvelles pendant cette durée sont possibles, pourvu que la règle rappelée à la phrase précédente soit respectée » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 25).
En dernier lieu, on relèvera une modification qui soulève une interrogation : S’agissant des opérations de transmission de holdings animatrices exerçant une activité mixte, l’ancienne version du BOFiP prévoyait que le caractère principal de l’activité d’animation devait être retenu lorsque « la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition, des titres de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale représente plus de la moitié de son actif total », en citant à l’appui de cette affirmation un arrêt Cass. Com. 14 oct. 2020, n° 18-17.955. Dans la dernière mouture du BOFiP, la référence à l’arrêt disparaît, ainsi que la précision « Au jour du fait générateur de l’imposition ». Est-ce à dire que cette condition devrait être maintenue au-delà de cette seule date ? Il n’est pas impossible que ce soit effectivement l’intention de l’administration, notamment lorsqu’on regarde cette suppression à la lumière du paragraphe n° 25 du même commentaire, qui prévoit que « La société doit vérifier la condition d’activité […] pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation ». Ce faisant, l’activité d’animation serait traitée, de ce point de vue-là, comme une activité opérationnelle, sans traitement « de faveur » quant à la date de son appréciation (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55).
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