Les bénéficiaires d’une donation en nue-propriété n’ont guère à craindre de l’abus de droit pour motif « principalement fiscal », sauf cas marginaux.
Jusqu’à présent, les services fiscaux ne pouvaient mettre en œuvre la procédure d’abus de droit pour fraude à la loi qu’à condition de démontrer la recherche par le contribuable d’un but « exclusivement fiscal ».
La loi de finances pour 2019 va plus loin en leur offrant la possibilité, à compter de 2021 pour des actes passés à partir de 2020, de s’attaquer aux actes motivés par un objectif « principalement fiscal ». Cela conduit à se demander si le législateur n’aurait pas ainsi ouvert la porte à davantage d’insécurité fiscale.
Lorsque plusieurs options équivalentes s’offrent aux contribuables, la pression fiscale fait que ceux-ci choisissent la moins imposée. En faire abstraction serait un acte anormal de 20gestion. Il est ainsi indéniable que la dimension fiscale est déterminante. Le nouvel abus de droit fiscal oblige à sonder les cœurs et les reins des contribuables, à mettre en balance l’avantage fiscal procuré par une opération et les raisons réelles ou supposées de nature familiale, patrimoniale et/ou professionnelle l’ayant motivée.
Vers des remises en cause par l’administration fiscale ?
Pour autant, faut-il craindre que l’administration fiscale remette systématiquement en cause des solutions jusqu’alors classiques, notamment la donation en nue-propriété d’un bien ? Pour le comprendre, il faut avoir à l’esprit que la valeur en pleine-propriété d’un bien est égale à la somme de ses valeurs en nue-propriété et en usufruit. La valeur en nue-propriété d’un bien est donc inférieure à sa valeur en pleine-propriété. Dès lors, le fait de donner la première plutôt que la seconde permet de réduire l’assiette des droits de donation et, corrélativement, leur montant.
L’usufruit s’éteint au décès de l’usufruitier. La pleine propriété est alors reconstituée en franchise de droits de mutation à titre gratuit sur la tête du donataire. Est-il possible de déceler dans ce schéma la poursuite d’un but « principalement fiscal » ? A priori non, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, une donation en nue-propriété permet à un contribuable d’anticiper à sa guise la transmission de son patrimoine tout en se réservant la jouissance du bien ou les revenus procurés par celui-ci. Ensuite, les droits de donation ne sont assis que sur ce qui est effectivement reçu par le donataire. Si les mots ont un sens, en cas de donation en nue-propriété, le donataire ne peut pas être taxé sur plus qu’il ne reçoit. Enfin, il est vrai qu’au décès du donateur, le donataire devient plein-propriétaire du bien sans avoir à acquitter d’un supplément de droits de mutation à titre gratuit. Mais il s’agit du jeu normal des règles civiles, jeu de surcroît confirmé par le Code général des impôts (art. 1133). Il ne peut être fait grief au donataire de bénéficier d’une solution logique civilement et confortée par ce Code.
En définitive, les bénéficiaires d’une donation en nue-propriété n’ont guère à craindre de l’abus de droit pour motif « principalement fiscal », sauf cas marginaux comme une donation en nue-propriété consentie par une personne se sachant condamnée à très court terme. Certes, de tels cas existent, mais ils sont très loin de constituer la majorité du genre. La guerre fiscale de la donation en nue-propriété n’aura donc pas lieu.
Arlette Darmon,
Notaire à Paris, Monassier & Associés et Présidente du Groupe Monassier
et
Frédéric Douet,
Professeur à l’Université de Rouen-Normandie.
Article paru dans Les Echos le 17 janvier 2019
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