La CJUE vient de rendre son arrêt tant attendu par les praticiens et spécialistes de la TVA par suite du renvoi introduit par le Conseil d’État, par arrêt du 25 juin 2020, dans la procédure Icade Promotion Logement SAS (refus de restitution de TVA sur marge acquittée au titre de la vente de terrains à bâtir relevant du régime antérieur de la TVA immobilière tel qu’applicable avant le 11 mars 2010).
Sur le fondement de l’interprétation du régime de la taxation sur la marge relevant de l’article 392 de la directive TVA du 28 novembre 2006, dont l’article 268 du CGI constitue la transposition en droit français, la CJUE se prononce sur le régime de la TVA appliqué lors de l’acquisition de l’immeuble par l’assujetti et sur la condition d’identité des caractéristiques juridiques et physiques de l’immeuble entre le moment de son achat et celui de sa revente.
Le Conseil d’Etat avait, tout d’abord, interrogé la Cour sur l’interprétation de l’article 392 visé ci-dessus qui prévoit que l’assujetti « n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition ». Elle porte sur le point de savoir s’il ne vise que l’hypothèse stricte où l’assujetti a été privé d’un droit à déduction lors de l’acquisition de l’immeuble ou si elle englobe, plus largement, l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’opération n’a pas pu ouvrir droit à déduction, y compris celles d’une opération qui n’a pas supporté de TVA, soit qu’elle en ait été exonérée, soit qu’elle ait été placée hors de son champ d’application.
La CJUE relève, au préalable, que le droit français se réfère uniquement à l’absence de « droit à déduction » sans préciser si cette absence est seulement due au fait que la transaction initiale n’était pas soumise à la TVA ou qu’elle l’était sans pour autant ouvrir de droit à déduction par la suite. Cette interprétation du droit à déduction n’est pas partagée au sein de l’Union Européenne.
A cette première question, la CJUE répond que « L’article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il permet d’appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe, que lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la TVA alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.
Toutefois, en dehors de cette hypothèse, cette disposition ne s’applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à la TVA, soit qu’elle se trouve en dehors de son champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée ».
En conséquence, la Cour semble exclure l’application du régime de la TVA sur marge lorsque l’acquisition d’un terrain destiné à être revendu par l’assujetti est réalisée auprès de particuliers ou par des assujettis agissant à titre purement patrimonial c’est-à-dire hors champ d’application de la TVA.
La seconde question portait sur l’applicabilité du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :
- soit lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;
- soit lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications).
Selon la CJUE, « L’article 392 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir, mais qu’il n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots ou la réalisation de travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l’instar, notamment, des réseaux de gaz ou d’électricité ».
Ainsi, dès lors qu’un terrain nu est considéré comme un terrain à bâtir selon la législation nationale de l’État membre concerné, les transformations apportées à ce terrain aux fins de son aménagement, qui reste ainsi destiné à être bâti, sont sans incidence sur sa qualification de « terrain à bâtir » tant que ces aménagements ne peuvent être qualifiés de « bâtiments ».
De ce fait, le calcul de la TVA sur la marge ne peut s’appliquer qu’aux seules cessions d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification.
Au contraire, le critère d’identité physique n’a été retenu par la CJUE pour écarter l’application de la tva sur la marge. Ainsi, la division en lots du terrain ou la réalisation de travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l’instar, notamment, des réseaux de gaz ou d’électricité ne sont pas de nature à écarter l’application du régime de la tva sur marge, sous réserve que la condition liée à l’absence de droit à déduction lors de l’acquisition soit respectée.
CJUE, aff. C. 299/20, 30 sept. 2021, Icade Promotion