Placement préféré des français, l’assurance-vie a connu lors de ces dernières décennies un succès indéniable. Il faut dire que l’institution fait valoir nombre d’atouts, tant financiers que juridiques et fiscaux, et tant du vivant du souscripteur qu’à son décès.
La liberté qu’elle offre sur le plan successoral est en particulier à souligner. Couplée aux techniques éprouvées du démembrement de propriété, elle devient un instrument de transmission de patrimoine particulièrement performant.
Les charmes successoraux de l’assurance-vie
L’assurance-vie, et c’est là l’une de ses principales singularités au regard des autres formes de placement, permet au souscripteur de désigner le bénéficiaire du capital pour le cas où il décèderait. Cette faculté, en ce qu’elle repose sur le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui, ne constitue pas une donation (sauf cas particuliers), mais l’expression d’une logique assurantielle. De cette qualification découlent plusieurs conséquences civiles et fiscales très favorables aux intéressés :
Sur le plan civil, le capital versé est « hors succession » (article L. 132-12 du Code des assurances), de sorte qu’il n’est pas soumis aux opérations de liquidation successorale. En particulier, il n’est pas soumis aux règles du rapport et de la réduction, et permet en cela d’avantager le bénéficiaire au-delà de la « quotité disponible ». Il s’agit donc d’un moyen efficace, s’il est bien employé, de gratifier certains héritiers ou des tiers sans qu’ils n’aient à en rendre compte aux héritiers au décès du souscripteur (sauf à ce que les primes versées par le souscripteur soient « manifestement exagérées ») ;
Sur le plan fiscal, le versement du capital bénéficie d’un traitement attractif. Le régime fiscal qui lui est applicable variera selon plusieurs facteurs (voir tableau ci-dessous). Si le souscripteur, bien conseillé, y a versé les primes avant son soixante-dixième anniversaire, l’avantage sera particulièrement marqué : chaque bénéficiaire, y compris hors du cadre familial, disposera d’un abattement de 152 500 €, et le surplus sera taxé à 20 % jusqu’à 700 000 €, puis à 31,25 % au-delà. A titre de comparaison, les successions entre personnes non parentes ne bénéficient que d’un abattement de 1.594 € et sont taxées à 60 %.
Les modalités de désignation des bénéficiaires
En principe, la désignation du bénéficiaire n’est soumise à aucun formalisme particulier, dès lors que la volonté du stipulant est certaine et non équivoque. En pratique toutefois, les compagnies d’assurance proposent le plus souvent une désignation des bénéficiaires dès la souscription du contrat, au moyen de formulaires pré-remplis. S’ils ont l’avantage de la simplicité, ces formulaires sont souvent très lacunaires quant aux choix qu’ils proposent. Les « clauses-types » qu’ils contiennent sont souvent peu adaptées à la diversité des situations que peuvent rencontrer les souscripteurs.
Aussi est-il préférable d’opter pour une désignation du ou des bénéficiaires par voie testamentaire, ainsi que le permet l’article L. 132-8 al. 8 du Code des assurances. Ce faisant, le souscripteur retrouve toute latitude pour affiner et préciser la désignation des bénéficiaires, et peut se faire conseiller par son notaire pour la rédaction du testament. Ce support permet de confectionner une clause bénéficiaire « sur-mesure », exploitant toutes les ressources de l’ingénierie de l’assurance-vie. C’est ainsi que pourront notamment être prévus des bénéficiaires de rang subséquent, qui auront vocation à recueillir le capital en cas de prédécès ou de renonciation du bénéficiaire initial, ou encore des clauses dites « à options » ou « à tiroirs », qui permettent aux bénéficiaires de décider parmi les choix offerts par le souscripteur, de celui qui lui semble le plus approprié (en fonction de son âge, de ses ressources, du contexte familial). Enfin, et c’est l’objet de notre propos, le testament sera l’instrument privilégié du démembrement de la clause bénéficiaire.
Du démembrement de propriété au quasi-usufruit
Le démembrement de propriété est une technique juridique qui permet de diviser la propriété d’un bien entre un usufruitier et un nu-propriétaire. L’usufruitier a l’usage de la chose : il peut soit l’utiliser à titre personnel soit en recevoir les fruits (les loyers si c’est un immeuble, ou les dividendes s’il s’agit de titres de société), à charge de les rendre au nu-propriétaire à l’extinction de son droit. Le nu-propriétaire quant à lui, est un propriétaire amputé des droits de l’usufruitier : dans les faits, il ne peut qu’attendre que l’usufruit s’éteigne pour recouvrer la pleine propriété de la chose.
Lorsqu’il s’applique à des biens « consomptibles », c’est-à-dire des biens qui se détruisent par l’usage qui en est fait (ex : l’argent, les biens de consommation), le démembrement de propriété prend une forme particulière. En effet, en principe, l’usufruitier use du bien à charge pour lui de le restituer au nu-propriétaire à l’extinction de son usufruitier. Dès lors, si l’usage du bien consomptible conduit à sa disparition, l’usufruitier ne devrait plus pouvoir le restituer. L’article 587 du Code civil régit cette situation en prévoyant qu’en telle hypothèse, l’usufruitier peut disposer librement des biens, et doit restituer soit des biens de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution.
Cette disposition, destinée à l’origine à régler les problématiques pittoresques des « grains et liqueurs », a connu un renouveau étonnant en matière de stratégies patrimoniales dans les années 1990. Elle crée en effet à l’extinction de l’usufruit (qui correspond dans la majorité des cas au décès de l’usufruitier) une dette de restitution à l’égard du nu-propriétaire. Cette dette, dans le cadre familial, se révèle d’une redoutable efficacité fiscale. En effet, très souvent, le démembrement existera entre un parent et son enfant, le premier étant usufruitier et le second nu-propriétaire. Au décès du parent, le passif constitué par la dette de restitution viendra diminuer l’actif successoral taxable, et l’enfant pourra récupérer sur les fonds de la succession le montant de sa créance de restitution en franchise de droits de succession (puisque, ce faisant, il n’agit pas comme héritier, mais comme créancier).
Du capital versé aux biens subrogés
Le quasi-usufruit n’est toutefois pas la seule issue que peut avoir le démembrement de sommes d’argent. Il est également possible qu’usufruitier et nu-propriétaire procèdent à un remploi des capitaux pour la réalisation d’un investissement. Dans cette hypothèse, le nouveau bien est subrogé au premier et le démembrement de propriété se reporte sur lui. Cette technique a l’avantage d’éviter ce qui est souvent appelé « le syndrome de la veuve joyeuse ». L’expression, à tout le moins inélégante, a le mérite de la pédagogie : il s’agit de désigner le comportement d’un conjoint survivant qui dilapiderait les liquidités reçues au titre d’un quasi-usufruit, obérant toute éventualité pour ses enfants nus-propriétaires de recouvrer un jour leur créance de restitution.
Le remploi permet ainsi au disposant (souvent donateur ou testateur), d’imposer aux gratifiés d’employer les sommes données en démembrement à l’acquisition d’un bien meuble ou immeuble. Le démembrement retrouvant un objet non-consomptible, le régime du quasi-usufruit est écarté et le nu-propriétaire bénéficie de l’obligation de conservation et de restitution de l’usufruitier, qui porte désormais sur le bien lui-même. Au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire deviendra plein propriétaire du bien en franchise de droits de succession. En l’absence de créance de restitution, il ne pourra toutefois revendiquer aucun passif susceptible de grever la succession au titre de ce démembrement.
Clause bénéficiaire et quasi-usufruit : le duo gagnant ?
Allier les avantages successoraux de l’assurance-vie aux intérêts du démembrement permet d’optimiser au mieux la transmission d’un patrimoine familial.
Sur le plan fiscal, lorsque le contrat bénéficiera du régime favorable applicable aux primes versées avant le 70e anniversaire du souscripteur, chacun de l’usufruitier et du nu-propriétaire sera redevable de l’impôt au prorata de la part leur revenant dans le capital, déterminée en fonction du barème de l’article 669 du CGI. L’abattement de 152 500 € déjà évoqué sera réparti de la même façon au sein de chaque « couple » de nu-propriétaire et d’usufruitier. Concrètement, le nombre d’abattement dépendra donc du nombre de bénéficiaires en nue-propriété, chacun d’eux partageant cet abattement avec l’usufruitier de sa quote-part à proportion de la valorisation de leurs droits respectifs. Si, comme souvent, il n’y a qu’un seul usufruitier et plusieurs nus-propriétaires, le cumul des quotes-parts d’abattements de l’usufruitier ne pourra excéder 152 500 €.
Un montage simple et efficace consisterait alors, pour un époux, à désigner comme bénéficiaire du contrat d’assurance-vie son conjoint pour l’usufruit, et ses enfants pour la nue-propriété. Ce faisant, le conjoint dispose de la plus grande liberté de gestion sur les fonds ainsi reçus. Les enfants quant à eux, reçoivent la nue-propriété des fonds en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse, et se verront attribuer dans la succession de leur auteur survivant une créance de restitution en franchise de droits et qui sera considérée comme un passif successoral, allégeant ainsi la fiscalité applicable à la transmission des biens de la succession.
Si le disposant sait son conjoint prodigue, il pourra, au sein même du testament désignant le bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, décider que le capital sera versé à son conjoint pour l’usufruit, et à ses enfants pour la nue-propriété, à charge pour eux de l’employer dans l’acquisition d’un bien remplissant certains critères qu’il aura définis, dans un délai qu’il aura déterminé. Cette technique trouvera un terrain privilégié dans les familles recomposées, où il s’agira pour le souscripteur de faire cohabiter les intérêts du beau-parent et de ses enfants d’un premier lit.
La combinaison entre assurance-vie et démembrement de propriété peut également constituer un véhicule intéressant lors d’une transmission transgénérationnelle, les enfants du souscripteur étant désignés bénéficiaires pour l’usufruit, et ses petits-enfants pour la nue-propriété. De la sorte et pour peu que les primes aient été versées avant le 70e anniversaire du souscripteur, les petits-enfants seront gratifiés sous le bénéfice d’un abattement de 152 500 € (à partager avec l’usufruitier), contre 31 865 € en matière de donation. Rien n’interdit par ailleurs de recourir dans cette hypothèse à la technique des usufruits successifs : les petits-enfants seraient ainsi bénéficiaires en nue-propriété, sous l’usufruit du conjoint du souscripteur, et l’usufruit successif des enfants du souscripteur. Ce faisant, le conjoint et les deux générations qui suivent profiteraient des capitaux, et chacune des successions du souscripteur, et des deux générations d’usufruitiers serait fiscalement optimisée.
Quelques précautions à prévoir
Si séduisant qu’il soit, le recours au démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie doit s’entourer de précautions destinées à en éviter les écueils.
Sur le plan purement financier d’abord, il faudra souvent penser à allouer, par le contrat lui-même ou autrement, des fonds en pleine-propriété au bénéficiaire en nue-propriété, afin qu’il dispose des liquidités nécessaires à l’acquittement des droits générés par le dénouement du contrat.
Sur le plan juridique ensuite, le testament prévoyant le démembrement du capital décès devra prévoir son encadrement, afin de garantir les intérêts des parties.
En cas de dénouement sous la forme d’un quasi-usufruit par exemple, le souscripteur peut souhaiter offrir toute latitude à l’usufruitier pour profiter du capital. Or, les articles 601 et 602 du Code civil prévoient à sa charge l’obligation de fournir une caution au nu-propriétaire afin de garantir sa créance de restitution ou à défaut, un placement des sommes reçues. Sa liberté est donc considérablement amenuisée. Le souscripteur pourra alors prévoir dans le testament que l’usufruitier sera dispensé de fournir caution, le laissant ainsi libre de sa gestion. Le nu-propriétaire en revanche, serait alors privé de toute garantie de pouvoir un jour percevoir les fonds (ce qui n’est pas si choquant dans la mesure où sa situation est alors la même que dans l’hypothèse banale de désignation de l’usufruitier comme bénéficiaire en pleine propriété).
La protection du nu-propriétaire en cas de quasi-usufruit passera surtout par l’aménagement par le souscripteur des modalités de recouvrement de sa créance de restitution. A défaut, elle sera égale au nominal du capital au jour du dénouement. Mais plusieurs options autrement plus intéressantes sont possibles. On peut ainsi imaginer que la restitution ne s’effectue plus en argent, mais par l’attribution au nu-propriétaire des actifs acquis en remploi des capitaux décès. La créance peut aussi être indexée sur la base d’un indice, ou sur la valorisation des biens à l’acquisition desquels le quasi-usufruitier les a employés. Des incertitudes existent toutefois quant à l’opposabilité à l’administration de cette évaluation de la dette de restitution lors du règlement de la succession du quasi-usufruitier. Certains auteurs considèrent en effet que de telles modalités conventionnelles pourraient faire tomber la dette de restitution sous le coup de l’article 773,2° du CGI, prévoyant que les dettes consenties par le défunt à ses héritiers ne sont pas déductibles de l’actif successoral taxable. Le recours à l’acte authentique, dans ces conditions, est donc à privilégier afin de pouvoir échapper à la présomption de fictivité des dettes instaurée par l’article 773, 2° du CGI.
En cas de dénouement avec obligation de remploi des capitaux, le souscripteur pourra faire le choix, selon le climat familial, soit de laisser aux parties la liberté de déterminer le support d’investissement, soit au contraire de définir très précisément l’investissement à réaliser. Il pourra par ailleurs déterminer les droits de chacun sur le bien acquis.
Sur le plan fiscal enfin, on précisera que les redoutables présomptions prévues par les articles 751 et 773, 2° du Code général des impôts (concernant respectivement l’inclusion de la valeur de pleine propriété des biens démembrés à l’actif de la succession de l’usufruitier, et la non-déductibilité fiscale des dettes contractuelles du défunt à l’égard de ses héritier) ne devraient pas trouver à s’appliquer. L’article 751 est écarté en ce qu’il n’est pas applicable aux libéralités enregistrés trois mois avant le décès de l’usufruitier. L’assurance-vie réalisant une libéralité indirecte, il suffira d’enregistrer la convention de démembrement dans le délai pour faire échec à la présomption. L’article 773, 2° est quant à lui écarté en ce qu’il ne vise que les dettes « consenties par le défunt ».Or, tel n’est pas le cas de la dette de restitution du quasi-usufruitier, qui n’est pas d’origine contractuelle, mais résulte de l’effet de la loi (sous réserve éventuelle, comme évoqué, de son indexation). Enfin, on notera que la qualification d’abus de droit fiscal est peu probable en la matière, l’opération n’étant ni fictive, ni motivée par un but exclusivement fiscal.
Simon Dessis,
Consultant au Centre d’Etudes et de Recherche du Groupe Monassier