Reconnu pour sa pertinence lors des opérations de transmission ou d’acquisition, le démembrement de propriété est aujourd’hui une technique courante de gestion du patrimoine. Sa récurrence ne doit toutefois pas faire oublier sa complexité, notamment au regard de son traitement en matière d’impôt sur la fortune immobilière.
Le principe : taxation dans le patrimoine de l’usufruitier
Les biens grevés d’usufruit sont, sauf exceptions (v. ci-après), compris dans le patrimoine taxable à l’impôt sur la fortune (IFI) du seul usufruitier, pour leur valeur en toute propriété (CGI art. 968). Corrélativement, le nu-propriétaire n’a rien à déclarer au titre de ces biens.
Les biens doivent être évalués par l’usufruitier pour leur valeur vénale en pleine propriété, aucune décote n’étant autorisée au titre du démembrement. En revanche, si la nue-propriété des biens est en indivision, l’usufruitier qui est imposable sur sa quote-part de la pleine propriété du bien peut tenir compte de la perte de valeur vénale de l’immeuble résultant de cette indivision (la solution valait en matière d’ISF et devrait être transposable à l’IFI).
L’administration admettait, en matière d’ISF, que l’usufruitier et le nu-propriétaire conviennent entre eux, à titre privé, de conditions différentes pour la répartition définitive de la charge d’impôt. Il serait souhaitable que cette solution soit expressément reprise en matière d’IFI.
En contrepartie, l’usufruitier peut déduire de son actif brut imposable à l’IFI les dettes remplissant les conditions de l’article 974 du CGI qui lui incombent personnellement à raison du bien dont la propriété est démembrée. En revanche, même s’il est imposable à raison de la pleine propriété du bien démembré, l’usufruitier n’est pas admis à déduire les dettes incombant au nu-propriétaire.
Les dettes contractées par le nu-propriétaire afférentes à des biens dont il détient la nue-propriété ne sont pas admises en déduction de son propre actif imposable à l’IFI (sauf dans les quelques cas où l’usufruitier et le nu-propriétaire sont imposés séparément sur la valeur de leurs droits : v. ci-après). Aucune déduction n’est en effet possible pour les dettes (par exemple, les emprunts) afférentes à des biens non pris en compte pour l’assiette de l’IFI dû par l’intéressé ou exonérés.
Les exceptions : imposition séparée de l’usufruitier et du nu-propriétaire
Le principe de taxation des biens grevés d’usufruit dans le patrimoine du seul usufruitier comporte des exceptions, limitativement énumérées à l’article 968 du CGI.
Ainsi, à condition que l’usufruit ne soit ni vendu ni cédé à titre gratuit par son titulaire, la valeur des biens dont la propriété est démembrée est répartie dans les patrimoines de l’usufruitier et du nu-propriétaire selon le barème fixé par l’article 669 du CGI dans plusieurs cas.
D’abord, lorsque le démembrement résulte :
- De l’usufruit que peut obtenir le conjoint survivant sur la succession du prédécédé, conformément soit à l’article 757 du Code civil (pour les successions ouvertes depuis le 1er juillet 2002), soit à l’article 767 ancien du Code civil (pour les successions antérieures au 1er juillet 2002) ;
- De la faculté qui existait antérieurement au 1er janvier 2007, alors qu’il existait une réserve héréditaire des ascendants en l’absence de descendants, d’offrir au conjoint la nue-propriété de cette réserve (articles 914 et 1094 anciens du Code civil) ;
- De la faculté de provoquer un usufruit forcé du second conjoint en présence d’enfants du premier lit (article 1098 du Code civil) ;
Ensuite, lorsque le démembrement de propriété résulte de la vente d’un bien dont le vendeur s’est réservé l’usufruit, à condition que l’acquéreur de la nue-propriété ne soit pas l’une des personnes visées à l’article 751 du CGI (héritiers présomptifs et leurs descendants, donataires ou légataires de l’usufruitier et personnes interposées) ;
Enfin, lorsque l’usufruit a été réservé par le donateur d’un bien ayant fait l’objet d’un don ou legs à l’État, aux départements, aux communes ou syndicats de communes et à leurs établissements publics, aux établissements publics nationaux à caractère administratif et aux associations reconnues d’utilité publique. Il en est de même en cas de dons ou legs effectués avec réserve d’usufruit au profit d’une fondation reconnue d’utilité publique, dès lors que la libéralité a au préalable reçu l’autorisation administrative prévue à l’article 910 du Code civil.
Pour aller plus loin : Apport en société de la nue-propriété d’un bien
Lorsque la nue-propriété d’un immeuble est apporté à une société, le BOFIP opère une distinction (BOI-PAT-IFI-20-20-30-10, n° 200) :
Lorsque l’apport de la nue-propriété est effectué à titre onéreux, l’opération est assimilée à une vente avec réserve d’usufruit au profit du vendeur. L’usufruitier n’est alors taxé que sur la seule valeur de l’usufruit, à condition que la société bénéficiaire de l’apport ne soit pas contrôlée par une des personnes visées à l’article 751 du CGI ;
Lorsque l’apport est pur et simple ou si, réalisé à titre onéreux, il bénéficie à une société contrôlée par l’une des personnes visées à l’article 751 du CGI, l’apporteur est tenu de déclarer dans son patrimoine la valeur de la toute propriété des biens dont il a conservé l’usufruit. Afin d’éviter qu’il subisse une double imposition, il est corrélativement dispensé de déclarer les parts ou actions qui lui ont été remises en rémunération de l’apport de la nue-propriété.
Remarque : On notera que la double imposition n’est pas totalement évitée lorsque l’usufruitier est imposable sur la valeur de la pleine propriété des biens dont la nue-propriété a été apportée à la société. En effet, cette nue-propriété se trouve également taxée dans le patrimoine des associés de la société qui doivent déclarer dans leur patrimoine imposable leurs droits sociaux pour leur valeur réelle, à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers.
Voir également le Mémento Transmission d’entreprise 2020-2021 Francis Lefebvre