Lorsque l’on subit une altération de ses facultés physiques et mentales, il est légitime de vouloir être accompagné dans des conditions dignes et conformes à son individualité. En la matière, anticiper est une condition sine qua non pour s’assurer que l’éventuel déclin de nos capacités ne nous contraindra pas à supporter un mode de vie contraire à nos souhaits.
Comment concilier cette aspiration avec celle de transmettre notre patrimoine à notre descendance, comme nous l’aurions fait sans penser au risque dépendance qui reste toujours aléatoire ? Des outils juridiques sont à notre disposition pour nous éviter de freiner nos désirs d’effectuer des donations à nos enfants.
Comment écarter la perspective de voir son mode de vie géré par un tiers désigné par la justice, qui ne sera peut-être pas en adéquation avec nos aspirations ? En effet, quand elle subit une perte d’autonomie, surtout si ses fonctions cognitives sont atteintes, une personne âgée fait souvent l’objet d’une mesure d’accompagnement, à la demande de sa famille, de ses proches ou d’un tiers. Cette demande sera validée par le juge si cette personne n’est plus en mesure de pourvoir seule à ses intérêts, par impossibilité de manifester sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales et physiques. Cette personne dépendante, faute d’avoir pris soin d’établir préalablement un mandat de protection future (voir ci-après la partie « Parlons stratégie »), n’aura alors pas le choix de qui sera désigné pour encadrer ses actes voire pour prendre des décisions en son nom.
Prévoir qui prendra en main notre destin, en organisant par anticipation – tant que nous sommes en pleine autonomie – une alternative aux mesures de protection judiciaire, est le meilleur conseil à donner ! Voilà une solution pour sa tranquillité d’esprit et pour continuer à vivre en oubliant le risque d’une fin de vie contrariée.
L’espérance de vie a considérablement progressé au cours des dernières décennies. Cet allongement de la durée de vie s’accompagne de la montée en puissance du risque de terminer son existence dans un état de dépendance. Un risque auquel chacun d’entre nous peut être exposé. Selon la dernière étude officielle en date sur le sujet, en 2015, 2,5 millions de seniors en France étaient en situation de dépendance, soit 15,3 % des 60 ans et plus. Le nombre prévisible des personnes en perte d’autonomie s’élèvera à 4 millions en 2050, selon l’Insee.
LES ENJEUX D’UNE PERTE D’AUTONOMIE NON ANTICIPÉE SANS DISPOSITION PRÉALABLE DE LA PERSONNE VULNÉRABLE
On distingue quatre dispositifs différents d’accompagnement, plus ou moins privatifs de droits pour la personne vulnérable. Le choix du dispositif adéquat – du plus souple au plus contraignant – est déterminé en fonction des facultés physiques et intellectuelles de la personne à protéger mais aussi de son cadre familial. Avant la mise en œuvre d’une de ces mesures d’accompagnement, un certificat médical précisant le niveau d’altération des capacités de la personne vulnérable, établi par un médecin habilité par le procureur de la République sera requis. Il constitue le préalable indispensable à la procédure qui débute par une requête auprès du greffe du tribunal judiciaire du domicile de la personne à protéger.
L’habilitation familiale (articles 494-1 et suivants du Code civil)
Cette mesure simple n’est envisageable que s’il règne dans la famille de la personne vulnérable un réel consensus pour la mettre en œuvre et en confier la responsabilité à l’un ou à plusieurs de ses membres (ascendant, descendant, frère et sœur, conjoint, partenaire de Pacs ou concubin). L’habilitation peut prendre la forme d’une « représentation » : le ou les parents habilités par le juge représenteront alors la personne âgée et agiront à sa place. Sa portée peut être générale, les parents du majeur pouvant alors prendre des décisions concernant sa personne et réaliser tout type d’actes à titre onéreux portant sur son patrimoine (les actes portant sur son logement ainsi que les actes de disposition à titre gratuit sont toujours soumis à l’autorisation du juge). A l’inverse, leur mandat peut être limité à certains actes (décisions d’ordre médical, vente de biens immobiliers, gestion des comptes bancaires). Dans ce cas, la personne vulnérable pourra réaliser seule tout acte non prévu dans l’habilitation.
L’habilitation familiale offre une grande indépendance à la personne habilitée, qui doit toutefois conserver les preuves de sa gestion, l’intervention du juge étant limitée aux actes les plus graves.
Sauvegarde de justice (articles 433 et suivants du Code civil)
Cette mesure n’intervient que de façon transitoire. Soit concernant une personne incapable pour une période donnée (en raison d’une hospitalisation, par exemple) de réaliser certains actes. Soit en attendant que le juge des contentieux de la protection statue sur une demande de mise en œuvre d’une mesure de curatelle ou de tutelle. Un mandataire est alors désigné pour la réalisation des actes ne pouvant plus être effectués par la personne dépendante.
Curatelle (articles 440 et suivants du Code civil)
Visant à protéger un majeur qui reste certes en état d’agir lui-même mais a besoin d’être conseillé ou contrôlé, la curatelle est une mesure d’assistance à géométrie variable. Avec une curatelle simple, la personne âgée accomplit seule les actes de gestion courante (dits actes d’administration ou actes conservatoires), comme la gestion du compte bancaire ou la souscription d’une assurance. Mais elle doit être assistée de son curateur pour des actes dits de disposition. En cas de curatelle renforcée décidée par le juge, le curateur perçoit les ressources de la personne et règle ses dépenses. Enfin, la curatelle peut être aménagée : le jugement détermine alors quels sont les actes que la personne protégée peut faire seule ou non.
Tutelle (articles 440 et suivants du Code civil)
Il s’agit de la mesure de protection judiciaire la plus rigoureuse, et donc la plus privative de liberté d’agir pour la personne vulnérable. La mise sous tutelle intervient, sur décision du juge, lorsqu’une personne n’est plus en mesure d’effectuer les actes de la vie civile et de veiller sur ses propres intérêts. Elle n’est donc pas simplement assistée mais représentée par son tuteur pour quasiment tous les actes d’administration et de disposition.
Qui est chargé d’assister ou de représenter la personne dépendante ?
Lorsque le juge décide d’une mesure de sauvegarde de justice, de curatelle ou tutelle, il s’efforce de désigner un ou plusieurs des proches chargé(s) d’assister ou de représenter la personne vulnérable. A condition que l’entourage compte des volontaires qui en aient la capacité. A défaut, le jugement désigne un mandataire judiciaire, association tutélaire ou professionnel spécialisé. Ce mandataire, qu’il soit familial ou non, est tenu de rendre compte au juge des contentieux de la protection des actes qu’il accomplit pour l’organisation du cadre de vie de la personne protégée ainsi que pour la gestion de son patrimoine. Avec pour obligation supplémentaire, en cas de curatelle renforcée ou de tutelle, d’établir un compte de gestion annuel à adresser au greffe du tribunal judiciaire.
TRANSMETTRE SON PATRIMOINE SANS NÉGLIGER LE RISQUE DE DÉPENDANCE
Anticiper un risque de dépendance, et le coût important que suppose sa prise en charge dans les conditions les plus confortables possibles, n’interdit pas de préparer la transmission de son patrimoine. Certains outils et techniques juridiques permettent de transmettre à ses descendants ou autres proches une partie de ses biens dans des conditions fiscales avantageuses, sans se démunir d’un flux de revenus qui pourra être nécessaire au financement d’une fin de vie décente.
Attention à l’obligation alimentaire des proches
Les enfants doivent des « aliments » (dans un sens large, aide financière ou en nature destinée à faire face aux dépenses de la vie courante) à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin selon l’article 205 du Code civil. Enfants et petits-enfants sont donc tenus de participer au règlement d’un séjour en maison de retraite, si la personne dépendante ne dispose pas des ressources suffisantes nécessaires pour s’acquitter de cette dépense. Les gendres et belles-filles sont tenus à cette même obligation envers leur beau-père et/ ou leur belle-mère (article 206 du Code civil). Cette obligation perdure au-delà du décès du conjoint s’il existe des enfants communs.
L’assurance-vie
Ouvrir et alimenter un contrat d’assurance-vie est le bon réflexe de ceux qui veulent provisionner les frais qu’engendreront, demain, un état de dépendance, tout en préparant la transmission de leur patrimoine. Réparties entre un fonds euros au capital garanti et des unités de compte rémunératrices, les primes versées sur un contrat d’assurance-vie offrent au souscripteur une enveloppe immédiatement disponible en cas de besoin. Les rachats, qui peuvent être programmés, sont en outre peu fiscalisés : seule la part représentant les intérêts est soumise à taxation, en principe à hauteur d’un prélèvement forfaitaire unique de 30 %.
Selon le régime matrimonial, le contrat peut, au surplus, être co-souscrit par deux époux, ce qui présente, dans certaines situations, un formidable outil de protection du conjoint.
Au moment du décès, les primes non consommées sont transmises aux bénéficiaires désignés, sous forme de capitaux-décès, lesquels sont en principe civilement hors succession, immédiatement perçus et faiblement fiscalisés.
L’assurance-vie, outil de financement et de transmission, doit être envisagée au moment de l’élaboration d’une stratégie patrimoniale. Impartial et expert, le notaire est le meilleur conseiller en la matière.
Une donation avec réserve d’usufruit
Deux droits distincts sont attachés à la propriété d’un bien : la nue-propriété et l’usufruit. Donner la seule nue-propriété d’un bien immobilier ou d’un placement financier et en conserver l’usufruit procure plusieurs avantages. Pour le donateur d’abord : en qualité d’usufruitier, il peut continuer à percevoir les revenus car il dispose du droit de l’utiliser ou de le mettre en location. Par ailleurs, le nu propriétaire ne pouvant le céder sans son accord, il en garde la maîtrise. Avantage pour le donataire, ensuite, il supporte des droits de donation moindre que sur une donation en pleine propriété, puisqu’ils ne sont calculés que sur la seule valeur de la nue-propriété, celle-ci diminuant avec l’âge de l’usufruitier. Pour exemple, elle équivaut à 40 % de la valeur du bien si l’usufruitier est âgé de 61 ans à 70 ans révolus au jour de la donation. Ainsi peut-on plus facilement donner à ses enfants en franchise d’impôts, en restant sous le seuil de l’abattement de 100 000 euros dont dispose un enfant sur les donations reçues d’un de ses parents par période de 15 ans. Au décès de l’usufruitier, il devient plein propriétaire sans avoir à payer des droits supplémentaires.
A noter que…
Lorsque la donation en nue-propriété porte sur un portefeuille titre, l’usufruitier dispose de pouvoirs élargis puisqu’il conserve le pouvoir d’arbitrer ce portefeuille, à charge toutefois d’en préserver la valeur et de réinvestir le produit des éventuelles cessions de titres. Il est toutefois conseillé de rédiger une convention afin de prévoir notamment le mode de gestion ou encore la composition possible du portefeuille.
BON À SAVOIR
Avec l’aide de son notaire, il est tout à fait possible de consentir une libéralité à ses proches ou à un tiers en indiquant dans l’acte que ce donataire aura l’obligation de participer aux frais de dépendance du donateur, si ce risque se matérialise à l’avenir, ou de lui verser une rente viagère.
Une telle donation dite avec charges est révocable si son bénéficiaire n’exécute pas la charge lui incombant.
Il est possible également d’envisager le recours à des donations dites facultatives ou alternatives, lesquelles permettent au donateur de commencer à transmettre, tout en se laissant le temps de la réflexion quant au bien à donner. Celui-ci pourra ainsi choisir, le moment venu, exactement ce qu’il souhaite transmettre, une fois un certain délai passé, en fonction de ses besoins, de son état de santé ou de dépendance…
Penser à son testament sans trop attendre !
Une personne dépendante faisant l’objet d’une mesure de tutelle n’est pas autorisée à établir un testament en toute liberté. Ce régime de protection lui impose d’obtenir l’autorisation du conseil de famille ou du juge pour pouvoir rédiger un testament et léguer ses biens, dans la limite de la quotité disponible, aux personnes de son choix.
PARLONS STRATÉGIE
Le mandat de protection future est sans conteste un instrument prioritaire pour qui souhaite anticiper un risque de dépendance et préfère ne pas laisser à la justice le soin de décider quelle personne sera chargée de l’encadrer dans les prises de décisions voire d’agir à sa place. Cet acte vous permet, alors que vous disposez de toutes vos facultés mentales, de désigner une ou plusieurs personnes en lesquelles vous avez pleinement confiance pour qu’elles veillent sur vos intérêts quand vous ne disposerez plus des capacités nécessaires pour le faire. Depuis la loi de réforme de la Justice du 29 mars 2019, cette disposition prend le pas sur toute autre mesure de protection judiciaire ou procuration, le jour où la personne est reconnue vulnérable sur la base d’un certificat médical établi par un médecin agréé à cette fin par le procureur de la République.
Que prévoir dans le mandat ?
Cet acte désigne le futur mandataire, avec l’accord de celui-ci. Le mandat précise également les volontés de son signataire quant à son cadre de vie : lieu de résidence, conditions de maintien à domicile et d’entrée en établissement pour personnes dépendantes (en indiquant possiblement une liste préférentielle d’établissements), niveau de vie avec le cas échéant des prestations particulières, loisirs, animaux domestiques… Par ailleurs, une série de dispositions relatives à la gestion de son patrimoine peuvent y être insérées. Les pouvoirs accordés au mandataire sont possiblement très larges : des actes d’administration (souscription d’une assurance, paiement des factures courantes…) jusqu’aux actes de disposition (vente d’un bien immobilier…) si le mandat est notarié, en passant par des décisions touchant à la protection de la santé (consentement à des soins médicaux…)
Qui désigner ?
Le mandataire désigné avec son accord peut être un membre de la famille, mais aussi un tiers (médecin, ami, mandataire professionnel…). Il est conseillé de nommer de préférence des personnes appartenant à la génération du dessous et, dans la mesure du possible, de multiplier les futurs mandataires. D’abord afin de limiter les risques que le jour venu la seule personne de confiance choisie ne soit plus en capacité d’assumer son mandat. Ensuite, la pluralité de mandataires permet de confier des responsabilités différentes à l’un et à l’autre, en délégant à un proche l’organisation de son mode de vie et à un professionnel la gestion de son patrimoine (ou de tel ou tel bien seulement), par exemple.
Une rémunération du mandataire peut être formalisée dans l’acte, soit en valeur absolue en indiquant un montant périodique, soit à proportion des actes accomplis.
SOLLICITER L’ACCOMPAGNEMENT DE SON NOTAIRE
Pour la rédaction de son mandat de protection future.
Il est possible de le rédiger sous seing privé, par un acte contresigné par un avocat ou même sans conseil, en remplissant un formulaire type. Toutefois, solliciter son notaire pour définir le contenu de cet acte et lui en confier la formalisation peut s’avérer très utile. Ce professionnel du droit, familier de situations de dépendance, peut accompagner le mandant à bien anticiper tous les enjeux, notamment patrimoniaux, d’une perte d’autonomie. Surtout, seul un mandat notarié permet de conférer au mandataire la possibilité de réaliser seul des actes de disposition à titre onéreux. Il importe d’informer ses proches de l’existence d’un tel acte authentique, dont le notaire assurera la conservation. En effet, le registre des mandats de protection future instauré par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement n’est toujours pas effectif, faute de publication du décret d’application.
Pour étudier l’opportunité de dispositions spécifiques pour sa société civile.
L’un des atouts de la société civile est la dissociation du pouvoir et de l’avoir : celui qui décide n’est pas forcément celui qui perçoit les bénéfices de la gestion. Une telle structure permet à celui qui dispose d’un patrimoine complexe de se dessaisir, à l’aube de son vieillissement, des décisions qu’il ne pourra plus prendre demain. Afin de fluidifier la gestion, l’idée est alors de concentrer les pouvoirs de gestion dans les mains du gérant afin de cantonner à un rôle passif l’associé à protéger, et son éventuel représentant, tout en lui assurant cependant des revenus et/ou la mise à disposition de certains biens. La rédaction ou l’aménagement des statuts requiert du « sur-mesure » et les conseils d’un professionnel. Autre avantage de la société civile : elle permet d’initier une transmission progressive, souple et maîtrisée, et les gains fiscaux ne sont souvent pas négligeables.
Cette lettre d’information est une approche générale des sujets traités, elle ne peut se substituer à un conseil
personnel pour lequel votre notaire est compétent. Les informations contenues sont indicatives et ne sauraient
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