Malgré l’adoption, en 2006, de la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P)[1] , laquelle avait eu pour objectif de redonner au droit domanial une certaine cohérence et de moderniser les règles qui lui étaient applicables, il est rapidement apparu que la réforme du droit de la propriété des personnes publiques n’était pas entièrement aboutie, ne permettant pas notamment une réelle valorisation des propriétés publiques. En outre, confronté à l’évolution du droit européen en la matière, rendant nécessaire une mise en conformité du droit interne, notre droit domanial avait besoin d’une nouvelle intervention législative.
Pour cela, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin II »)[2] habilita le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de sa promulgation, toute mesure « tendant à moderniser et simplifier, pour l’Etat et ses établissements publics :
« 1° Les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public, (…);
« 2° Les règles régissant les transferts de propriété réalisés par les personnes publiques, (…) »
Cette habilitation prévoit également que « Les dispositions prises en application du 2° peuvent ouvrir aux autorités compétentes la possibilité de prendre des mesures, y compris de portée rétroactive, tendant à la régularisation de leurs actes de disposition » (L. n°2016-1691, 9 déc. 2016, art. 34).
C’est en application de cette habilitation que l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 est parue (JO 20 avril), contenant diverses mesures tendant à clarifier et simplifier le régime applicable à la propriété des personnes publiques. Elle modifie ainsi plusieurs dispositions du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).
La connaissance de ces dispositions est nécessaire, tant leur impact sur les actes de cessions de biens dépendant du domaine public par les personnes publiques est important.
Les mesures contenues dans cette ordonnance sont divisées en deux grandes parties : les dispositions relatives à l’occupation et à l’utilisation privatives du domaine public (I-) et les dispositions relatives aux déclassements et aux cessions (II-). Nous traiterons ici uniquement des mesures intéressant les immeubles[3].
Les dispositions relatives à l’occupation et à l’utilisation privatives du domaine public
Un court article clarifie le droit existant en ce qui concerne l’occupation de biens dépendant du domaine privé de la personne publique destinés à être intégrés rapidement à son domaine public. Surtout, c’est une part importante de ce chapitre 1er qui est consacrée à la création d’une obligation de mise en concurrence et de publicité préalable à la délivrance de certaines autorisations d’occupation. Pour le surplus, sont prévues des adaptations du régime des titres constitutifs de droits réels tenant compte de l’instauration de cette obligation de mise en concurrence préalable et la simplification de la fixation du montant de la redevance d’occupation dans l’hypothèse d’une autorisation domaniale conjuguée à un contrat de la commande publique.
La possibilité d’accorder un titre d’occupation sur une dépendance du domaine privé avant son incorporation dans le domaine public
L’article L.2122-1 du CG3P, imposant la délivrance d’une autorisation par l’autorité administrative pour toute occupation du domaine public[4], est complété par deux aliénas précisant qu’un titre d’occupation peut être accordé pour occuper ou utiliser une dépendance du domaine privé d’une personne publique par anticipation à l’incorporation de cette dépendance dans le domaine public.
Utilisable dès le 1er juillet 2017, ce titre devra fixer le délai dans lequel l’incorporation devra se produire, sans pouvoir excéder six mois, et indiquer le sort de l’autorisation si cette incorporation n’est pas intervenue (caducité, prolongation, prorogation, renouvellement…).
Cette précision constitue une clarification bienvenue du droit existant. En effet, cela devrait éviter à l’avenir des situations pouvant se rencontrer en pratique, par exemple, lorsqu’un bail à construction ou un bail emphytéotique conclu sur le domaine privé d’une collectivité entraînait la domanialité publique du terrain sur lequel il portait et donc, par conséquent, sa propre nullité.
L’instauration d’une obligation de publicité et de mise en concurrence préalable à certaines autorisations d’occupation du domaine public
Il s’agit là d’une innovation majeure de cette ordonnance du 19 avril. On rappellera en effet que jusqu’à présent en droit interne, une jurisprudence du Conseil d’Etat affirmait « qu’aucune disposition législative ou règlementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel[5] » .
Or, alors que certains réclamaient la mise en place d’une procédure de sélection et de publicité préalable, au nom du principe de bonne administration du patrimoine public, le juge européen estimait, dans un arrêt rendu en 2016, que la délivrance de titres d’occupation du domaine des personnes publiques imposait le respect d’une procédure de sélection et de publicité dans certains cas[6].
Les rédacteurs de l’ordonnance ont donc souhaité tourner la page de l’opacité du choix des occupants du domaine public et mettre le droit de la domanialité publique en cohérence avec la jurisprudence européenne.
L’ordonnance impose ainsi de soumettre la délivrance de certains titres d’occupation du domaine public à une procédure de sélection entre les candidats potentiels ou de simples obligations de publicité préalable. Seuls sont concernés par cette procédure les titres dont l’octroi a pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine. « Il s’agit, par là-même, d’assurer la meilleure valorisation du domaine mais également de permettre un égal traitement entre les opérateurs économiques intéressés. » (Rapport au Président de la République relatif à l’ord. n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques).
Cette nouvelle obligation procédurale s’imposera dès le 1er juillet 2017.
L’autorité compétente organisera librement cette procédure de sélection préalable, laquelle devra présenter « toutes les garanties d’impartialité et de transparence », et comporter « des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».
La durée des titres d’occupation ainsi délivrés sera « fixée de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis, sans pouvoir excéder les limites prévues, le cas échéant, par la loi » (CG3P, art. L.2122-2). Certains auteurs soulignent que cette règle d’encadrement de la durée de l’autorisation ne tient pas compte des occupations qui ne nécessiteraient pas ou très peu d’investissements (par exemple, les stands de marchés et points de vente restreints, les conventions d’occupation sans travaux lorsque tous les travaux ont été réalisés lors d’une précédente occupation ou que le support d’exploitation préexiste)[7]. Ils rappellent que l’activité économique, même dans ces situations, peut nécessiter un certain degré de stabilité pour présenter un intérêt. L’absence de prise en compte de ces hypothèses fait donc naître un flou sur la durée acceptable de l’autorisation délivrée en pareil cas, ce qui pourrait être préjudiciable à ces activités.
Ce principe de mise en concurrence obligatoire connaît toutefois des exceptions ou atténuations.
Ainsi lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée, il est prévu une procédure « simplifiée ». Sont ici visées les occupations de courte durée délivrées quotidiennement par les personnes publiques : manifestations artistiques et culturelles, manifestations d’intérêt local, privatisations temporaires de locaux…
Pour ces autorisations, de simples mesures de publicité préalable devront être mises en œuvre.
Il en va de même lorsqu’il existe une offre foncière disponible suffisante pour l’exercice de l’activité projetée, c’est-à-dire lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice d’une activité donnée est suffisant par rapport à la demande (CG3P, art. L.2122-1-1). Ce critère de la suffisance reste cependant assez flou à apprécier et son application engendrera certainement une jurisprudence abondante.
En outre, le nouvel article L.2122-1-2 CG3P précise les situations dans lesquelles la délivrance de certains titres est exclue du champ d’application de ces procédures, soit que ces obligations sont inutiles (délivrance du titre s’insérant dans une opération donnant lieu à une procédure présentant les mêmes caractéristiques ou titre conféré par un contrat de la commande publique ou dont la délivrance s’inscrit dans le cadre d’un montage contractuel ayant donné lieu à une procédure de sélection), soit qu’elles sont impropres (situation d’urgence ou lorsque le titre a pour seul objet de prolonger une autorisation existante).
Egalement, l’article L.2122-1-3 admet la possibilité de délivrer des titres à l’amiable lorsque les obligations procédurales susmentionnées s’avèrent impossibles à mettre en œuvre ou sont non justifiées. Le texte donne une liste non exhaustive (« notamment ») de cas dans lesquels la mise en œuvre de cette procédure de mise en concurrence s’avère impossible ou non justifiée, savoir :
« 1° Lorsqu’une seule personne est en droit d’occuper la dépendance du domaine public en cause ;
2° Lorsque le titre est délivré à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l’autorité compétente ou à une personne privée sur les activités de laquelle l’autorité compétente est en mesure d’exercer un contrôle étroit ;
3° Lorsqu’une première procédure de sélection s’est révélée infructueuse ou qu’une publicité suffisante pour permettre la manifestation d’un intérêt pertinent est demeurée sans réponse ;
4° Lorsque les caractéristiques particulières de la dépendance, notamment géographiques, physiques, techniques ou fonctionnelles, ses conditions particulières d’occupation ou d’utilisation, ou les spécificités de son affectation le justifient au regard de l’exercice de l’activité économique projetée ;
5° Lorsque des impératifs tenant à l’exercice de l’autorité publique ou à des considérations de sécurité publique le justifient ».
La jurisprudence précisera certainement, dans le futur, les éventuels autres cas dans lesquels une délivrance amiable de l’autorisation sera possible.
En tout état de cause, dans tous ces cas d’exception visés à l’article L.2122-1-3, le gestionnaire du domaine devra rendre publiques les considérations de droit et de fait qui l’ont conduit à ne pas mettre en œuvre la procédure prévue à l’article L.2122-1-1.
Enfin, il est précisé que lorsque l’autorisation d’occupation sera la résultante d’une initiative privée, il appartiendra à l’autorité compétente de s’assurer, par de simples mesures de publicité, de l’absence d’autre manifestation d’intérêt concurrente (CG3P, art. L.2122-1-4).
Dans les dossiers de cession ou de mise à disposition des biens d’une collectivité, faisant intervenir des autorisations d’occupation du domaine public concernées par la procédure de l’article L.2122-1-1 du CG3P, il sera donc du devoir du notaire de vérifier le respect de ces nouvelles obligations de mise en concurrence et de publicité préalable à la délivrance de l’autorisation.
A défaut en effet, et même si le texte ne le précise pas expressément, c’est bien la sanction de la nullité qui semble devoir s’appliquer.
L’adaptation des règles relatives aux titres constitutifs de droits réels
Pour tenir compte de l’introduction, dans le droit positif, de cette obligation de mise en concurrence et de publicité préalable à la délivrance de certaines autorisations d’occupation du domaine public, les dispositions relatives aux titres d’occupations du domaine public constitutifs de droits réels ont été adaptées.
Ainsi, l’article L.2122-7 CG3P est complété d’un alinéa précisant que les transferts de titres constitutifs de droits réels sur les biens de l’Etat et de ses établissements publics ne peuvent intervenir lorsque le respect des obligations de publicité et de sélection préalables à la délivrance d’un titre s’y oppose.
L’article L.2341-1 CG3P est lui-aussi complété pour prévoir que les droits résultant d’un bail emphytéotique de l’Etat ou de ses établissements publics ne peuvent faire l’objet d’une cession lorsque le respect des obligations de publicité et de sélection préalables à la délivrance d’un titre, prévues à l’article L. 2122-1-1, s’y oppose. La même adaptation est prévue à l’article L.1311-3 du CGCT, concernant les droits résultant d’un bail emphytéotique des collectivités territoriales.
A la lecture de l’ordonnance, il semblerait donc que le transfert de ces titres constitutifs de droits réels soit lui-même soumis au respect de ces obligations de publicité et de sélection préalable. Pourtant, certains auteurs soulignent, à juste titre, qu’en cas de cession d’un titre d’occupation du domaine public constitutif de droit réel, c’est bien le titulaire initial du titre qui cède son droit d’occupation, et non la personne publique propriétaire. Par suite, on voit mal en quoi les obligations de sélection et de publicité préalable imposées lors de la délivrance du titre initial pourraient s’opposer à cette cession.
La suppression d’une incohérence relative à la fixation de la redevance d’occupation en présence d’un contrat de la commande publique
Enfin, l’article L.2125-1 CG3P est complété afin de remédier à une incohérence qui résultait jusqu’alors de l’articulation entre le droit de la commande publique et le droit du domaine lorsque l’occupation du domaine public est autorisée par un contrat de la commande publique ou qu’un titre d’occupation est nécessaire à l’exécution d’un tel contrat. En effet, dans cette situation, le double rapport existant entre les parties impliquait l’existence de flux financiers croisés entre la personne publique et son cocontractant ainsi que la mise en place de mécanismes de refacturation de la redevance, majorée de TVA.
Pour mettre fin à cette complexité d’ordre financière et comptable, l’ordonnance prévoit que les modalités de détermination du montant de la redevance seront désormais « fonction de l’économie générale du contrat ». Cette règle devrait donc permettre, dans le cas où l’objet principal du contrat relève de la commande publique, de déroger à la règle du versement annuel ou au maximum quinquennal de la redevance[9], fixée à l’article L. 2125-4 du CG3P [10].
Le texte précise également que lorsque ce contrat s’exécute au seul profit de la personne publique, l’autorisation d’occuper le domaine public « peut être » délivrée gratuitement. A la lecture du texte, il semble évident que le choix de délivrer gratuitement ou non l’autorisation d’occuper le domaine public reviendra à la seule personne publique.
Au terme de sept articles relativement courts, l’ordonnance tend ainsi à moderniser, simplifier et mettre en cohérence avec le droit européen les règles d’occupation et de sous-occupation du domaine public. C’est de manière encore plus concise (au moyen de quatre articles), que le législateur s’est attelé à rénover les règles relatives aux transferts de propriété réalisés par les personnes publiques, en vue notamment de sécuriser leurs opérations immobilières.
Les dispositions relatives aux déclassements et aux cessions
Contrairement aux dispositions relatives à l’occupation et à l’utilisation privatives du domaine public, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er juillet 2017, les dispositions du chapitre II de l’ordonnance, relatives aux déclassements et aux cessions, sont entrées en vigueur le lendemain de la parution de l’ordonnance du JO, soit le 21 avril 2017.
Elles concernent la possibilité de procéder à un déclassement anticipé, la possibilité de conclure une promesse de cession sous condition de déclassement et la possibilité de régulariser rétroactivement les cessions de biens relevant du domaine public réalisées sans déclassement.
L’extension de la possibilité de recourir à un déclassement anticipé
Profitant initialement aux seuls biens relevant du domaine public artificiel de l’Etat (CG3P, art. L.2141-2), la possibilité de procéder à un déclassement anticipé a été étendue par la loi « Sapin II » (art. 35) aux immeubles appartenant au domaine public artificiel des collectivités territoriales et de leurs groupements et établissements publics. Aux termes de cet article, le déclassement d’un immeuble appartenant au domaine public artificiel de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs groupements ou de leurs établissements publics et affecté à un service public peut en effet être prononcé dès que sa désaffectation a été décidée, alors même que les nécessités du service public justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un certain délai, fixé par l’acte de déclassement.
L’ordonnance du 19 avril 2017 étend de nouveau cette possibilité de recourir, dans la perspective de cessions de biens du domaine public, à un déclassement par anticipation à l’ensemble des personnes publiques ainsi qu’à l’ensemble des biens relevant de leur domaine public, qu’il soit affecté à un service public ou à l’usage direct du public.
Ainsi, le nouveau texte de l’article L.2141-2 CG3P dispose désormais que, par dérogation à l’article L.2141-1 CG3P[11], « le déclassement d’un immeuble appartenant au domaine public artificiel des personnes publiques et affecté à un service public ou à l’usage direct du public peut être prononcé dès que sa désaffectation a été décidée alors même que les nécessités du service public ou de l’usage direct du public justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un délai fixé par l’acte de déclassement. Ce délai ne peut excéder trois ans.
Toutefois, lorsque la désaffectation dépend de la réalisation d’une opération de construction, restauration ou réaménagement, cette durée est fixée ou peut être prolongée par l’autorité administrative compétente en fonction des caractéristiques de l’opération, dans une limite de six ans à compter de l’acte de déclassement. »
Outre l’extension de la possibilité de recourir au déclassement anticipé à l’ensemble des personnes publiques et à l’ensemble des biens relevant de leur domaine, le nouvel article L.2141-2 CG3P étend donc également le délai de déclassement anticipé (d’une durée de trois ans maximum en principe) à une durée de six ans pour les besoins de la réalisation d’opérations de construction, de restauration ou de réaménagement.
En pratique, ce délai maximal de six ans sera très vraisemblablement le plus usité car bien souvent, une personne publique procède à la cession d’un bien dépendant de son domaine public après désaffectation et déclassement dans le cadre d’une opération d’aménagement induisant généralement une démolition/reconstruction, une restauration ou une construction s’il s’agit d’un bien non bâti. En outre, les auteurs saluent cet allongement de la durée de désaffectation, rappelant que, dans les faits, la condition de désaffectation effective dans le un délai de trois ans était très souvent intenable pour les personnes publiques[12].
Comme d’autres, on soulignera qu’aux termes de l’article L.2141-2 du CG3P, « cette durée est fixée ou peut être prolongée (…) dans la limite de six ans », ce qui devrait donc permettre pour des déclassements pris antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, de prolonger le délai de trois ans. Toutefois, si un acte de vente est déjà intervenu, cela supposera sans doute d’obtenir un nouvel accord des parties sur la prolongation du délai de la condition résolutoire »[13].
Des obligations rédactionnelles sont imposées aux notaires. Le texte précise en effet expressément qu’en cas de vente de cet immeuble, l’acte de vente doit stipuler que celle-ci sera résolue de plein droit si la désaffectation n’est pas intervenue dans ce délai (trois ou six ans).
L’acte de vente doit également comporter des « clauses relatives aux conditions de libération de l’immeuble par le service public ou de reconstitution des espaces affectés à l’usage direct du public, afin de garantir la continuité des services publics ou l’exercice des libertés dont le domaine est le siège »[14].
La consécration de la possibilité de conclure des promesses de vente sous condition suspensive de déclassement
Un article L.3112-4 est inséré au CG3P. Il consacre la possibilité, pour les personnes publiques, de conclure des promesses de vente portant sur des biens du domaine public, sous condition suspensive de déclassement, avec un véritable engagement de désaffectation et de déclassement.
Jusqu’à présent, cette possibilité était discutée en doctrine[15] et n’avait jamais été validée par la jurisprudence. Pourtant, la conclusion d’une promesse de vente de biens du domaine public sous condition suspensive de leur déclassement présente un intérêt certain pour la personne publique concernée puisqu’elle lui permet de vendre des biens de son domaine public dont elle pense qu’elle n’aura plus besoin plus rapidement que s’il lui fallait attendre de les avoir désaffectés et déclassés avant d’engager le processus de cession.
Pour remédier à cette incertitude juridique et faciliter la cession des propriétés publiques, les rédacteurs de l’ordonnance ont prévu que, désormais, « un bien relevant du domaine public peut faire l’objet d’une promesse de vente ou d’attribution d’un droit réel civil dès lors que la désaffectation du bien concerné est décidée par l’autorité administrative compétente et que les nécessités du service public ou de l’usage direct du public justifient que cette désaffectation permettant le déclassement ne prenne effet que dans un délai fixé par la promesse. »
Depuis le 21 avril 2017, une promesse de vente peut donc être conclue par une personne publique alors même que le bien sur lequel elle porte n’est pas encore sorti de son domaine public au moyen d’un acte de déclassement. La désaffectation doit toutefois avoir été décidée par l’autorité compétente. Elle peut cependant ne pas encore être effective, en raison des nécessités du service public ou de l’usage direct du public. Mais cette désaffectation doit prendre effet dans un certain délai, fixé dans l’acte de promesse.
Là aussi, des obligations sont imposées au rédacteur de la promesse de vente.
Ainsi qu’il est dit ci-dessus, la promesse doit fixer le délai dans lequel la désaffectation permettant le déclassement doit prendre effet. Le non-respect de ce délai devrait logiquement entraîner la caducité de la promesse.
Egalement, à peine de nullité, la promesse doit comporter des clauses précisant que l’engagement de la personne publique propriétaire reste subordonné à l’absence, postérieurement à la formation de la promesse, d’un motif tiré de la continuité des services publics ou de la protection des libertés auxquels le domaine en cause est affecté qui imposerait le maintien du bien dans le domaine public.
L’ordonnance précise encore que « la réalisation de cette condition pour un tel motif ne donne lieu à indemnisation du bénéficiaire de la promesse que dans la limite des dépenses engagées par lui et profitant à la personne publique propriétaire »[16].
La possibilité de régulariser rétroactivement les cessions de biens relevant du domaine public réalisées sans déclassement
La condition de déclassement préalable à toute cession d’un bien dépendant du domaine public, induite du principe général d’inaliénabilité des biens domaniaux, n’a pas toujours été respectée par les personnes publiques et les acteurs du marché de l’immobilier, en particulier lors d’aliénations réalisées avant l’entrée en vigueur du Code de la propriété des personnes publiques en 2006.
Or, les propriétaires actuels de biens acquis en méconnaissance de cette obligation de déclassement se retrouvent en difficultés lors de la cession de leurs biens, leur propre acquisition relevant d’une cause de nullité. En outre, la responsabilité des personnes publiques ayant disposé de leur domaine public sans déclassement préalable peut être engagée.
Les rédacteurs de l’ordonnance ont donc souhaité remédier à ces situations de blocages résultant d’actes conclus sans déclassement préalable ou au moyen de déclassements imparfaits de biens du domaine public.
D’une part l’ordonnance (art. 12) prévoit que les articles L.3112-1 et L.3112-2 du CG3P sont applicables rétroactivement, aux cessions et échanges réalisés entre personnes publiques antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du CG3P, c’est-à-dire antérieurement au 23 avril 2006.
L’article L.3112-1 du CG3P dispose que « Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent de leur domaine public, peuvent être cédés à l’amiable, sans déclassement préalable, entre ces personnes publiques, lorsqu’ils sont destinés à l’exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert et relèveront de son domaine public ».
L’article L.3112-2 du même code prévoit pour sa part que « En vue de permettre l’amélioration des conditions d’exercice d’une mission de service public, les biens mentionnés à l’article L. 3112-1 peuvent également être échangés entre personnes publiques dans les conditions mentionnées à cet article. L’acte d’échange comporte des clauses permettant de préserver l’existence et la continuité du service public ».
L’objectif est ainsi de régulariser, rétroactivement, les cessions de biens intervenues entre personnes publiques sans déclassement préalable à une époque où celui-ci était pourtant obligatoire[16].
D’autre part, le même article 12 de l’ordonnance précise que les biens des personnes publiques qui, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance (c’est-à-dire avant le 21 avril 2017), ont fait l’objet d’un acte de disposition et qui, à la date de cet acte, n’étaient plus affectés à un service public ou à l’usage direct du public, peuvent être déclassés rétroactivement par l’autorité compétente de la personne publique qui a conclu l’acte de disposition en cause, en cas de suppression ou de transformation de cette personne, de la personne venant aux droits de celle-ci ou, en cas de modification dans la répartition des compétences, de la personne nouvellement compétente.
Là encore, l’objectif est de permettre à l’autorité administrative de régulariser des actes de disposition ayant porté sur des biens dépendant du domaine public, intervenus en l’absence de déclassement préalable ou après un déclassement imparfait.
Toutefois, cette régularisation ne semble pouvoir intervenir que lorsque ces actes, au moment où ils ont été adoptés ou conclus, n’ont pas été de nature à porter atteinte à un droit ou à une liberté protégé par les principes de la domanialité publique[18].
Ainsi, avec ces quelques dispositions, le Gouvernement, faisant œuvre de législateur, a souhaité moderniser et sécuriser les actes d’occupation et de cession des biens relevant du domaine public des personnes publiques, l’objectif étant de permettre une meilleure valorisation de ce patrimoine. Un second volet est désormais attendu, lequel porterait sur les biens dépendant du domaine privé de ces mêmes acteurs publics.
Notes
[1] Ordonnance n°2006-460 du 21 avril 2006 (JO 22 avril 2006) relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques.
[2] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (JO 10 déc. 2016) relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
[3] L’article 11 de l’ordonnance complète l’article L.3212-2 CG3P en insérant une nouvelle dérogation à l’interdiction de cession de biens meubles à un prix inférieur à leur valeur vénale. Cette dérogation ne concerne que le Ministère de la Défense, afin de lui permettre de céder gratuitement des biens meubles, lorsque ces cessions contribuent à une action d’intérêt public, notamment en termes de diplomatie, d’appui aux opérations ou de coopération internationale militaire.
[4] « Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous».
[5] CE, cont., 3 déc. 2010, n°338272, « Jean Bouin »
[6] CJUE, 14 juill. 2016, aff. C-458/14 Promoimpresa Srl ; aff. C-67/75, Mario Melis et a.
[7] L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, M. Raunet et R. Léonetti, JCP N n°18, 5 mai 2017, 1169
[8] L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, M. Raunet et R. Léonetti, JCP N n°18, 5 mai 2017, 1169. Selon ces auteurs : « le choix de l’occupant initial reposera sur les caractéristiques du projet donnant lieu à la délivrance du titre (prix, programme, usages, etc.), et dès lors que le cessionnaire s’obligera à reprendre l’ensemble des obligations figurant dans le contrat d’occupation du domaine public, la personne publique propriétaire ne devrait pas pouvoir s’opposer à la cession du titre (sous réserve de vérifier que le cessionnaire dispose des garanties techniques et financières équivalentes pour poursuivre lesdites obligations) et une procédure de sélection et de publicité ne devrait donc pas s’imposer ».
[9] L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, M. Raunet et R. Léonetti, JCP N n°18, 5 mai 2017, 1169.
[10] « La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public par le bénéficiaire d’une autorisation est payable d’avance et annuellement.
Toutefois, le bénéficiaire peut, à raison du montant et du mode de détermination de la redevance :
1° Etre admis à se libérer par le versement d’acomptes ;
2° Etre tenu de se libérer par le versement de la redevance due soit pour toute la durée de l’autorisation si cette durée n’excède pas cinq ans, soit pour une période quinquennale dans le cas contraire.
En outre, pour les besoins de la défense nationale, le bénéficiaire peut être tenu de se libérer soit par versement d’acomptes, soit d’avance, pour tout ou partie de la durée de l’autorisation ou de la concession, quelle que soit cette durée.
Les conditions d’application de ces différents modes de règlement sont fixées par arrêté ministériel. »
[11] « Un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement »
[12] L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, M. Raunet et R. Léonetti, JCP N n°18, 5 mai 2017, 1169.
[13] L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, M. Raunet et R. Léonetti, JCP N n°18, 5 mai 2017, 1169.
[14] Selon le Cridon de Paris, il résulte de ces dispositions, notamment, que le déclassement anticipé est possible y compris pour les biens affectés à l’usage direct du public, et non seulement aux biens affectés au service public (Flash Cridon de Paris du 20 avril 2017, « Régularisation de l’absence de déclassement du domaine public et autres avancées du droit domanial »).
[15] Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement, L. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet, AJDA 2014, p.961.
[16] « (…) eu égard à l’interdiction faite aux personnes publiques de contracter sur l’exercice de leur pouvoir de décision unilatérale (en l’occurrence la désaffectation et le déclassement), il était nécessaire de leur réserver la possibilité pour un motif légitime, en l’occurrence l’exigence constitutionnelle de continuité des services publics ou de la protection des libertés auxquels le domaine en cause est affecté, de maintenir le bien dans le domaine public et d’empêcher dans ce cas que la condition suspensive de désaffectation et de déclassement soit réalisée. Naturellement, pour empêcher toute renonciation de fait à cette faculté, il était indispensable d’ajouter qu’une défaillance de la condition de désaffectation et de déclassement pour un tel motif ne saurait donner lieu à une indemnisation contractuelle dissuasive pour la personne publique : cette indemnisation ne sera donc légale que dans la limite des dépenses engagées par lui et profitant à la personne publique propriétaire. Naturellement, ces précisions sont aussi une sécurité supplémentaire pour les cocontractants de la personne publique, puisque les motifs de désengagement de celle-ci sont désormais strictement définis par le texte. », L’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, M. Raunet et R. Léonetti, JCP N n°18, 5 mai 2017, 1169.
[17] CE, 11 oct. 1995, Tête
[18] Précision apportée par le rapport du Président de la République accompagnant l’ordonnance.