Nous proposons ici de revenir sur deux notions centrales des liquidations successorales : le rapport et la réduction des libéralités.
Ces deux notions se rejoignent en ce qu’elles consistent à prendre en compte, lors du règlement de la succession, les libéralités consenties par le de cujus et aboutissent à augmenter la masse à partager[1]. Pour autant, les deux notions ne doivent pas être confondues.
Selon une définition doctrinale, le rapport à succession, régi par les articles 843 et suivants du Code civil, est « une institution selon laquelle l’héritier, appelé avec d’autres à recueillir une succession, doit remettre dans la masse successorale les biens dont le défunt l’avait gratifié »[2]. Il est destiné à assurer l’égalité entre les héritiers.
Quant à la réduction, régie par les articles 918 et suivants du Code civil, elle se définit comme « la sanction applicable aux libéralités consenties par le défunt qui portent atteinte à la réserve héréditaire »[3].
Ainsi, il résulte de ces définitions que le rapport et la réduction n’ont pas la même finalité. Par voie de conséquences, ils n’ont ni le même champ d’application, ni le même régime.
Après avoir dressé un tableau comparatif du rapport et de la réduction, nous nous interrogerons sur le sort d’une libéralité qui serait à la fois rapportable et réductible.
Tableau comparatif
Si le rapport et la réduction n’ont pas le même champ d’application, il peut y avoir des recoupements : une libéralité rapportable en application des articles 843 et suivants du Code civil peut également être réductible, en tout ou en partie, si elle excède la quotité disponible. Se pose alors la question de l’articulation entre le rapport et la réduction.
Articulation entre le rapport et la réduction
Lorsqu’une libéralité est à la fois rapportable et réductible, les auteurs s’accordent sur le fait qu’il n’y a pas lieu d’obliger le gratifié à la restituer deux fois[26]. Ainsi, la libéralité n’a vocation à figurer qu’une seule fois (en principe en valeur) dans la masse à partager, soit au titre du rapport, soit au titre de la réduction.
En revanche, les opinons divergent sur le point de savoir s’il est possible de choisir entre le rapport et la réduction. En effet, à la lumière des différences de régime mises en avant dans le tableau ci-dessus, on mesure que le cohéritier réservataire pourrait avoir intérêt à revendiquer, selon le cas, soit le rapport soit la réduction.
Selon le Professeur Michel GRIMALDI, lorsqu’une libéralité est à la fois rapportable et réductible, « il appartient aux cohéritiers du gratifié de choisir, au mieux de leurs intérêts, le titre auquel ils demandent la restitution »[27]. D’autres éminents auteurs se sont prononcés dans le même sens[28].
A l’inverse, selon les termes du Professeur Bernard VAREILLE : « lorsqu’une avance de part se révèle à la fois rapportable pour le tout et pour partie réductible, le rapport du tout exclut la réduction partielle en valeur »[29]. Plus précisément, le Professeur Bernard VAREILLE et Maître Antoine KROELL ont pu exposer : « on se rappelle que le rapport est de droit, à la différence de la réduction, qui doit être demandée ; et qu’il désamorce en principe la réduction, en vertu de l’idée que ce qui a été restitué pour le tout n’a nul besoin de l’être pour partie »[30].
La Cour de cassation n’a pas tranché clairement la question. La question était soulevée dans un arrêt du 19 septembre 2018 [31] :
« Attendu que M. Claude X… et Mme Elisabeth X… font grief à l’arrêt d’homologuer l’état liquidatif et de mettre à la charge de celui-ci une indemnité de réduction à la suite de la libéralité consentie par le défunt par mise à disposition gratuite d’un immeuble situé à Puteaux alors, selon le moyen, que dès lors que la libéralité résultant de la mise à disposition gratuite de l’immeuble de Puteaux avait donné lieu à un rapport, à la charge de M. Claude X…, les sommes correspondantes avaient rejoint l’actif successoral et il était dès lors exclu que ces mêmes sommes, dans un second temps, puissent donner lieu à indemnité de réduction ; qu’à ce titre, l’arrêt attaqué a été rendu en violation des articles 920 et 921 du code civil ;
Mais attendu qu’il résulte des article 864 et 868 du code civil, dans leur rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006, que la donation faite en avancement d’hoirie à un héritier réservataire qui accepte la succession s’impute sur sa part de réserve, subsidiairement s’il y a lieu sur la quotité disponible et que, s’il en résulte un excédent, le donataire est débiteur d’une indemnité équivalente à cet excédent ; qu’après avoir constaté que le notaire avait réuni dans une masse fictive les biens du patrimoine de Roger X… au jour de son décès et ceux dont il avait disposé entre vifs, fixé la quotité disponible, imputé les donations reçues par M. Claude X…, d’abord sur sa part dans la réserve, puis sur la quotité disponible, enfin fixé une indemnité de réduction égale au montant de l’excédent, la cour d’appel a exactement décidé d’homologuer l’état liquidatif conforme aux textes précités ; que le moyen n’est pas fondé ».
La Cour de cassation semble admettre la réduction d’une libéralité rapportable. Cela étant, la Cour de cassation n’a pas répondu clairement au moyen du pourvoi reprochant au notaire d’avoir ordonné le rapport et la réduction de la même libéralité, de sorte que l’arrêt a donné lieu à des interprétations doctrinales divergentes[32].
Pour notre part, les arguments avancés par le Professeur Bernard VAREILLE emportent notre conviction.
En effet, selon la méthodologique classique des liquidations successorales, et en suivant le plan du Code civil, le rapport opère chronologiquement avant la réduction. En outre, le rapport joue de plein droit, alors que la réduction doit être demandée (cf. supra).
Nous ne voyons donc pas sur quel fondement un héritier réservataire pourrait renoncer au rapport d’une libéralité pour en demander la réduction. Nous sommes donc d’avis, que dès lors qu’une libéralité est rapportable, le rapport exclut la réduction.
Barbara BOETZLÉ-CROCQ
Consultante au Centre d’Etudes et de Recherche du Groupe Monassier
[1] En ce sens, l’article 825 du Code civil dispose que la masse à partager est « augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction »
[2] JurisClasseur Notarial Formulaire, V° Rapport à succession, Fasc. 10, §1 (par N. PETERKA, mise à jour 19 décembre 2022)
Dans le même sens : Memento successions et libéralités 2023, Editions Francis Lefebvre, §30905 ; M. GRIMALDI, Droit des successions, 8e ed. LexisNexis, 2020, §724 ; C. PERES, C. VERNIERES, Droit des successions, PUF, 2018, §670 ; F. LETELLIER, « Protection des proches par le rapport et la réduction : à la recherche d’un équilibre », Solution notaire hebdo 22/20, 25 juin 2020
[3] Dalloz action Droit patrimonial de la famille, 2021, §264.05
Dans le même sens : M. GRIMALDI, Droit des successions, 8e ed. LexisNexis, 2020, §793 ; C. PERES, C. VERNIERES, Droit des successions, PUF, 2018, §705
[4] Sur la notion d’« égalité maximale » entre les héritiers : C. BRENNER, P. MALAURIE, Droit des successions et des libéralités, Lextenso, sept. 2022, §666
[5] Art. 843 C.civ.
[6] Art. 843 C.civ.
[7] Art. 924 C.civ.
[8] Art. 924-4 C.civ.
[9] Art. 857 C.civ.
[10] Art. 921 C.civ.
[11] Art. 843 C.civ.
[12] Art. 924 C.civ.
[13] Art. 858 C.civ.
[14] Art. 924 C.civ.
[15] Art. 924-1 C.civ.
[16] Art. 860 C.civ.
[17] Art. 924-2 C.civ.
[18] Art. 856 al. 1er C.civ.
[19] Art. 928 C.civ.
[20] Art. 856 al.2 C.civ.
[21] Art. 924-3 C.civ.
[22] Art. 921 al. 1er C.civ.
[23] Art. 929 et s. C.civ.
[24] Voir notamment : C. BRENNER, P. MALAURIE, Droit des successions et des libéralités, Lextenso, sept. 2022, §683
[25] Art. 921 al. 2 C.civ.
[26] B. BEIGNER, J.-M. CARMO SILVA, A. FOUQUET, Liquidations de régimes matrimoniaux et de successions, Defrénois, 3e ed., 2010 p.157 : C. BRENNER, P. MALAURIE, Droit des successions et des libéralités, Lextenso, sept. 2022, §702 ; M. GRIMALDI, Droit des successions, 8e ed. LexisNexis, 2020, §843 ; C. PERES, C. VERNIERES, Droit des successions, PUF, 2018, §721 ; B. VAREILLE, « Rapport, réduction, confusion », Defrénois n° 29-34, 18 juillet 2019
[27] M. GRIMALDI, Droit des successions, 8e ed. LexisNexis, 2020, §846
[28] C. BRENNER, P. MALAURIE, Droit des successions et des libéralités, Lextenso, sept. 2022, §702 ; C. PERES, C. VERNIERES, Droit des successions, PUF, 2018, §721
[29] B. VAREILLE, « Rapport, réduction, confusion », Defrénois n° 29-34, 18 juillet 2019
Dans le même sens : A. CHAMOULAUD-TRAPIERS, P. SAUTJEAU. B. VAREILLE, « Principes liquidatifs et méthodologie du rapport et de la réduction des libéralités », Defrénois n° 26, 27 juin 2019 ; B. VAREILLE, « Conseils liquidatifs pour le rapport et la réduction », Defrénois n° 11, 15 juin 2015 ; B. VAREILLE et A. KROELL, « La liquidation et le partage de la succession », Defrénois n° 1, 15 janvier 2017
[30] B. VAREILLE et A. KROELL, « La liquidation et le partage de la succession », Defrénois n° 1, 15 janvier 2017, §28
[31] Cass. 1re civ. 19 septembre 2018, n° 17-20.704
[32] M. GRIMALDI, « Une libéralité rapportable peut être aussi réductible », RTD Civ. 2019 p.160 ; B. VAREILLE, « Rapport, réduction, confusion », Defrénois n° 29-34, 18 juillet 2019