Dix ans après l’instauration du mécanisme de l’agent des sûretés dans notre droit, l’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017, prise en application de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la loi économique, dite « loi Sapin II »[1], est enfin venue « clarifier et moderniser » ce dispositif, pièce maîtresse des opérations de crédits syndiqués[2] .
Introduit dans notre droit à l’occasion de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, le mécanisme de l’agent des sûretés devait venir concurrencer les instruments juridiques étrangers (notamment le security trustee et la parallel debt) fréquemment utilisés par la place dans de telles opérations. Les solutions traditionnelles (mandat et solidarité active entre créanciers) que proposait notre droit aux problématiques engendrées par de tels financements étaient en effet largement insuffisantes pour répondre aux attentes de la pratique.
Rapidement complété par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi LME, l’article 2328-1 du Code civil disposait ainsi que « toute sûreté réelle peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l’obligation garantie par une personne qu’ils désignent à cette fin dans l’acte qui constate cette obligation ».
Cependant, ce dispositif présentait de nombreuses lacunes.
Tout d’abord, l’article 2328-1 du Code civil restait muet sur la qualification juridique de l’agent des sûretés et dès lors sur le régime applicable : Etait-il simple mandataire, fiduciaire ou s’agissait-il d’un régime ad hoc ?
De plus, le champ d’application de l’article 2328-1 du Code civil s’avérait trop restreint puisqu’il limitait le rôle de l’agent des sûretés aux seules sûretés réelles, excluant dès lors les sûretés personnelles de son champ d’intervention. Se posait également la question de savoir si le texte de loi, en visant les sûretés réelles, concernait aussi les sûretés de droit étranger.
De nombreuses questions se posaient en outre quant à la possibilité pour l’agent des sûretés d’ester en justice sans mandat exprès des créanciers, et notamment de procéder aux déclarations de créances au nom et pour le compte des créanciers, mais également sur les conditions de son remplacement.
Enfin, l’obligation de désigner l’agent des sûretés dans chaque acte constatant la créance s’avérait trop rigide.
L’agent des sûretés, tel que prévu initialement par l’article 2328-1 du Code civil, n’aura donc pas permis de concurrencer les mécanismes de droit étranger, en raison des incertitudes et des insuffisances précitées.
D’autant plus que, dans le même temps, le recours au trustee et à la parallel debt était favorisé par la décision « Belvédère »de la Cour de cassation rendue le 13 septembre 2011[3].
C’est dans ce contexte qu’est donc intervenue l’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 relative à l’agent des sûretés, l’objectif affiché étant de rendre plus efficace le dispositif français de l’agent des sûretés, condition de la compétitivité de la place française en matière de financements syndiqués[4].
Depuis le 1er octobre 2017[5], l’article 2328-1 du Code civil, abrogé par l’ordonnance, laisse donc la place à un titre entier consacré à l’agent des sûretés, dans le Livre IV du Code civil.
Le régime de l’agent des sûretés est ainsi désormais précisé aux articles 2488-6 à 2488-12 du Code civil, mais seules quelques règles sont ainsi fixées afin de laisser une large place à la liberté contractuelle[6]. Quelles sont donc les nouveautés apportées l’ordonnance du 4 mai 2017 ?
L’agent des sûretés, tel que prévu aux articles 2488-6 et suivants du Code civil, est tout d’abord un fiduciaire spécial. Il s’agit là d’une avancée significative apportée au régime de l’agent des sûretés.
En effet, ce dernier agit en son nom propre mais au profit et dans l’intérêt des créanciers de l’obligation garantie[7]. Par ailleurs, il est titulaire d’un véritable patrimoine d’affectation, distinct de son patrimoine propre, qui comprendra tant les sûretés et garanties elles-mêmes que les actifs perçus dans le cadre de leur gestion et de leur réalisation. La logique fiduciaire, notamment l’étanchéité des différents patrimoines, est reprise jusqu’au bout puisqu’il est expressément prévu que :
- les droits et biens acquis par l’agent des sûretés dans l’exercice de sa mission ne peuvent être saisis que par les titulaires de créances nées de leur conservation ou de leur gestion, sous réserve de l’exercice d’un droit de suite et hors les cas de fraude[8] ;
- l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou de rétablissement professionnel à l’égard de l’agent des sûretés est sans effet sur le patrimoine affecté à sa mission[9] [10] ;
- l’agent des sûretés est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu’il commet dans l’exercice de sa mission[11].
Toutefois, il s’agit bien là d’une fiducie sui generis. En effet, comme le souligne le rapport au Président de la République, « l’agent des sûretés est un fiduciaire spécial soumis à des dispositions spécifiques prévues dans les articles qui lui sont consacrés. Il n’y a donc pas lieu à application des formalités de la fiducie de droit commun des articles 2011 et suivants du code civil, qui s’avéreraient excessivement lourdes pour la seule gestion de sûretés. Il n’est pas davantage posé d’exigence concernant les personnes pouvant agir en qualité d’agent des sûretés : il pourra s’agir de l’un des établissements prêteurs ou d’un tiers, personne physique ou personne morale »[12]. L’agent des sûretés pourra ainsi être une personne morale ou une personne physique, être l’un des créanciers de l’obligation garantie ou un tiers.
Autre avancée de l’ordonnance : l’élargissement du champ d’intervention de l’agent des sûretés.
En effet, le nouvel article 2488-6 du Code civil dispose que « Toute sûreté ou garantie peut être prise, inscrite, gérée et réalisée par un agent des sûretés, qui agit en son nom propre au profit des créanciers de l’obligation garantie ». Le champ d’intervention de l’agent des sûretés n’est ainsi plus limité aux seules sûretés réelles. Le nouveau texte permet en outre à l’agent des sûretés de gérer les promesses de sûretés ainsi que les sûretés de droit étranger.
Agissant en son nom propre en tant que fiduciaire spécial, il pourra, contrairement au mandataire, intervenir non seulement pour les créanciers originaires mais également au profit des créanciers qui viendraient à entrer dans la composition du « pool » postérieurement à sa désignation, sans formalités particulières.
Il pourra également, sans avoir à justifier d’un mandat spécial, exercer toute action pour défendre les intérêts des créanciers de l’obligation garantie et procéder à toute déclaration de créance[13].
Mais l’étendue de ses pouvoirs et de sa mission seront avant tout déterminés par la convention par laquelle les créanciers désignent l’agent des sûretés. En effet, il est prévu qu’« à peine de nullité, la convention par laquelle les créanciers désignent l’agent des sûretés doit être constatée par un écrit qui mentionne sa qualité, l’objet et la durée de sa mission ainsi que l’étendue de ses pouvoirs »[14] [15].
Les parties auront donc toute latitude pour limiter ou non les pouvoirs de l’agent des sûretés dans le cadre de sa mission. Elles pourront prévoir précisément les pouvoirs d’administration et de disposition de l’agent des sûretés sur les biens et droits du patrimoine affectés et leurs produits. Elles pourront également limiter ou non l’étendue des sûretés et garanties que ce dernier pourra être amené à prendre, inscrire, gérer et réaliser. La durée de la mission pourra quant à elle être fixée par référence à un terme fixe ou bien à la survenance d’un évènement, telle l’extinction complète des obligations garanties.
Enfin, les conditions du remplacement de l’agent des sûretés sont précisées.
Ainsi, en l’absence de stipulations contractuelles prévoyant les conditions de son remplacement et si l’agent des sûretés manque à ses devoirs, met en péril les intérêts qui lui sont confiés ou fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou de rétablissement professionnel, tout créancier bénéficiaire des sûretés et garanties peut demander en justice la désignation d’un agent des sûretés provisoire ou le remplacement de l’agent des sûretés[16].
Là encore, une grande place est ainsi laissée à la liberté contractuelle et aux prévisions des parties. Ces dernières sont ainsi libres d’aménager les cas de remplacement prévus par la loi ou d’ajouter, à ceux-ci, d’autres hypothèses de remplacement. Toutefois, il ne semble pas possible de prévoir une révocation ad nutum, i.e. sans juste motif, de l’agent des sûretés[17].
A noter enfin que tout remplacement conventionnel ou judiciaire de l’agent des sûretés emporte de plein droit transmission du patrimoine affecté au nouvel agent des sûretés.
L’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 a donc cherché à gommer toutes les imperfections de l’ancien agent des sûretés. Le nouveau régime qui en résulte, plus efficace et plus souple que le précédent, devrait répondre aux attentes des praticiens. Reste à ces derniers à s’en emparer !
Notes
[1] L. n°2016-1691, 9 déc. 2016, JO 10 déc. 2016, art. 117.
[2] D. Legeais, Traité des opérations de crédit : LexisNexis, 2016 ; D. Legeais, JCP N n°41, 13 oct. 2017, 863.
[3] Cass. Com., 13 sept. 2011, n°10-25533, 10-25731 et 10-25908, « Belvédère » : Dans cette affaire, la Cour de cassation considère notamment que le mécanisme de la parallel debt n’est pas contraire à l’ordre public international. Toutefois il est nécessaire que le contrat n’expose pas le débiteur à un risque de double paiement et que toute création d’un passif artificiel soit exclue.
[4] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2017-748 du 4 mai 2017 relative à l’agent des sûretés.
[5] Conformément au principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, la loi nouvelle ne s’appliquera qu’aux agents des sûretés désignés à compter du 1er octobre : les agents des sûretés désignés avant le 1er octobre 2017 demeurent donc régis par la loi ancienne.
[6] Il s’agit ainsi d’assurer la souplesse de cet instrument et son adaptation aux besoins de la pratique financière, comme le précise le rapport au Président de la République.
[7] C. civ., art. 2488-6
[8] C. civ., art. 2488-10, al. 1
[9] C. civ., art. 2488-10, al. 2
[10] A noter que l’article 2 du projet de loi de ratification de l’ordonnance, déposé au Sénat, prévoit d’ajouter à cette liste les procédures de surendettement et de résolution bancaire.
[11] C. civ., art. 2488-12
[12] Le rapport au Président de la République précise également que les mentions obligatoires exigées par l’article 2018 du code civil sur la fiducie, l’obligation d’enregistrement auprès du service des impôts prévue à l’article 2019 du code civil et l’inscription sur le registre national des fiducies prévue à l’article 2020 du code civil ne sont pas reprises, n’étant pas adaptées au regard des seules finalités de l’agent des sûretés.
[13] C. civ., art. 2488-9
[14] C. civ., art. 2488-7
[15] Il faut noter qu’il n’est donc plus exigé que la désignation de l’agent des sûretés figure dans l’acte constatant l’obligation garantie. Cette désignation pourra ainsi faire l’objet d’un écrit distinct.
[16] A noter que l’article 2 du projet de loi de ratification de l’ordonnance, déposé au Sénat, prévoit d’ajouter à cette liste les procédures de surendettement et de résolution bancaire.
[17] En ce sens, L.-J. Laisney, « Changement de régime pour l’agent des sûretés », AJ contrat 2017, p. 273.