L’article 24 de la loi confortant le respect des principes de la République ambitionne de renforcer le respect de la réserve héréditaire. Quel est l’objectif poursuivi par ce nouvel article, quels sont les nouveaux dispositifs mis en place et enfin quel est leur impact en termes de planification successorale ?
Le 24 août dernier était promulguée la loi n° 2021-1109 confortant le respect des principes de la République. Présenté par le ministre de l’Intérieur et la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la citoyenneté, ce texte contient divers dispositifs, relatifs au service public, au contrôle des associations, à la lutte contre les discours de haine, etc., destinés à renforcer le respect des principes de la République.
Parmi cet arsenal, on trouve à l’article 24 de la loi des précisions de droit civil assez inattendues, qui ont pour ambition de renforcer le respect de la réserve héréditaire. Quel rapport avec les principes de la République ? L’exposé des motifs éclaire l’intention du législateur : il s’agit de permettre à tous les enfants héritiers légaux de bénéficier de leurs droits sans qu’une distinction puisse être opérée sur des critères discriminatoires (par exemple, en fonction de la nature de la filiation, de l’ordre de naissance, du sexe ou de la religion) et de s’assurer qu’ils seront informés de leur droit à l’action en réduction.
Pourquoi renforcer la protection de la réserve héréditaire ?
La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. A l’inverse, la quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt peut disposer librement par des libéralités. Si des libéralités dépassent la quotité disponible, les héritiers réservataires peuvent en demander la réduction.
Autrement dit, la réserve héréditaire est un frein à la liberté dont chacun dispose de donner ou léguer ses biens, qui poursuit plusieurs objectifs : assurer une égalité minimale entre les enfants du défunt, limiter les discriminations entre les enfants, préserver l’unité familiale autour d’un patrimoine commun, instituer un mécanisme minimal de solidarité familiale, assurer la liberté de l’héritier sans qu’il craigne l’exhérédation, etc. En cela, elle est un véritable outil de politique successorale, et manifeste une certaine conception politique du groupe familial dans le droit français.
La réserve est parfois, à tort, perçue comme une spécificité française ; il n’en est rien, puisqu’elle existe dans la quasi-totalité des Etats de l’Union Européenne, et dans la quasi-totalité des pays de tradition civiliste (présente en Amérique du Sud, dans une majorité des pays d’Asie, à l’exception des pays de droit coutumier ou musulman, et dans de nombreux pays d’Afrique ayant conservé le droit européen de l’époque coloniale).
Cet état des lieux doit toutefois être tempéré, car le droit successoral français semble s’être assoupli au sujet de la réserve héréditaire, tant en droit purement interne qu’en droit international.
Dans le droit interne, ce recul de la réserve s’est opéré par la réforme des successions de 2006, à deux égards :
- Le principe de réduction en valeur : jusque-là, la réduction des libéralités portant atteinte à la réserve s’effectuait par principe en nature, c’est-à-dire que les gratifiés devaient simplement restituer le bien qui leur avait été donné ; désormais elle s’effectue par principe en valeur, c’est-à-dire que les gratifiés conservent le bien qui leur a été donné, mais doivent indemniser la succession en argent ;
- La renonciation anticipée à l’action en réduction : jusque-là, le principe de prohibition des pactes sur succession future empêchait qu’on s’arrange, en famille, pour s’assurer que tel ou tel héritier réservataire renonce à demander la réduction ; désormais, ils peuvent renoncer, avant le décès du disposant, à demander la réduction de telle ou telle libéralité qu’il aura faite.
Dans le droit international, ce recul de la réserve s’est essentiellement manifesté à l’occasion de deux arrêts de la Cour de cassation du 27 septembre 2017, qui ont tranché une controverse ancienne, concernant le statut de la réserve héréditaire au regard de l’ordre public international français. En termes plus simples, il s’agissait de savoir si la réserve héréditaire était, ou non, à ce point importante au regard des valeurs défendues par le droit français, qu’elle devait trouver application y compris dans les successions régies par une loi étrangère.
La Cour de cassation a répondu par la négative, ouvrant ainsi la voie à des stratégies patrimoniales d’exhérédation fondées sur l’application à la succession d’une loi d’un Etat ne connaissant pas la réserve héréditaire.
Ce recul de la réserve a été diversement apprécié, certains s’en réjouissant pour la liberté nouvelle qu’il offrait, d’autres le regrettant pour l’abandon des principes que la réserve représentait.
Le gouvernement semble finalement s’être rangé du côté des seconds en s’attachant, surtout, au principe de non-discrimination que la réserve permet d’assurer ; d’où l’introduction, dans la loi confortant le respect des principes de la République, de dispositifs protecteurs de la réserve héréditaire.
En quoi consistent les nouveaux dispositifs prévus par la loi ?
Deux dispositifs ont été introduits pour renforcer la réserve héréditaire.
Le premier, assez général, ne soulève que peu de difficultés : il s’agit d’obliger le notaire à informer individuellement chaque héritier réservataire, lors d’un entretien dédié, de la signification de son droit à la réserve et de la possibilité qu’il a de demander la réduction des libéralités qui y portent atteinte. Sous cet angle, aucune révolution juridique, mais simplement une évolution de la pratique notariale du traitement des dossiers de succession.
Le second en revanche, est plus audacieux, mais réservé aux successions internationales. Il s’agit de permettre aux enfants d’effectuer un prélèvement sur les biens situés en France, pour s’octroyer leur réserve héréditaire telle que déterminée par le droit français, dans l’hypothèse où la succession serait régie par une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire, et à la condition que l’un d’entre eux au moins soit résident ou ressortissant d’un Etat de l’Union Européenne.
Dans les faits, une succession est susceptible d’être régie par une loi étrangère soit parce que le défunt a sa dernière résidence habituelle dans un autre Etat (ex : un Français qui serait décédé aux USA, où il s’était établi pour passer sa retraite), soit parce qu’il a la nationalité de cet Etat et qu’il a désigné la loi de cet Etat pour s’appliquer à sa succession (ex : un Britannique établi en France qui aurait désigné la loi anglaise pour s’appliquer à sa succession). Dans ces hypothèses, il faudra alors vérifier s’il existe, dans l’Etat dont la loi régit la succession, une réserve héréditaire en faveur des enfants. Si le principe est simple, en pratique, la connaissance des droits étrangers est difficile et nécessite souvent l’intervention de professionnels du droit locaux, avec les coûts qui en résultent.
Ce point vérifié, si un seul des enfants réside dans l’UE ou est ressortissant d’un Etat de l’UE, alors tous les enfants pourront prélever les biens successoraux situés en France pour obtenir leur réserve héréditaire. Autrement dit, le droit français va venir s’immiscer dans des successions régies par le droit étranger, ce qui, sans considération de la pertinence de l’objectif poursuivi, posera de redoutables questions d’articulation entre les droits.
Quels sont les impacts de ces nouveaux dispositifs en termes de planification successorale ?
L’obligation d’information renforcée sur la réserve héréditaire ne devrait pas bouleverser les stratégies successorales, mais simplement modifier le déroulement des dossiers de succession franco-français.
En revanche, le nouveau droit de prélèvement va avoir plusieurs impacts en pratique, concernant les stratégies patrimoniales à l’international. En effet, on ne peut plus, désormais, compter sur l’application d’une loi étrangère pour s’assurer qu’une succession ne sera pas concernée par la réserve héréditaire française. Or, c’était parfois l’objectif du de cujus lorsqu’il choisissait d’organiser l’application d’une loi étrangère à sa succession.
L’objectif pouvait être plus ou moins tranché :
- D’aucuns pouvaient rechercher l’application d’un droit étranger, précisément par qu’il permettait d’exhéréder tel ou tel enfant. Désormais, il faudra faire avec le nouveau droit de prélèvement ;
- D’autres pouvaient rechercher l’application d’un droit étranger pour profiter de certains mécanismes spécifiques, comme les trusts de droit anglo-saxon, et devront alors prendre en compte l’impact du prélèvement.
Dans ces situations, il sera difficile de sécuriser la planification successorale. Sur le plan du droit, l’outil habituel que constitue la renonciation à l’action en réduction nous semble impuissant : il ne permet pas à l’héritier de renoncer à sa réserve ou à son droit de prélèvement, mais seulement à une indemnité de réduction. Or, le nouveau dispositif ne repose pas sur le paiement d’une indemnité, mais sur un prélèvement en nature des biens en France.
La seule solution sera alors de sortir du champ fixé par la loi : soit en s’assurant qu’aucun enfant n’a la nationalité d’un Etat de l’UE ou n’y réside, soit en s’assurant que la succession ne comprendra plus aucun bien situé en France, de sorte qu’il n’y aura rien à prélever.
Enfin, peut-être existe-t-il une voie plus hardie, qui consisterait tout simplement à contester le principe même du droit de prélèvement prévu par la loi. En effet, il est possible de reprocher à une loi de n’être pas conforme à la Constitution ou au droit de l’UE. Or, de nombreux auteurs soulignent déjà que le droit de prélèvement soulève de sérieuses questions concernant sa constitutionnalité et sa conformité au règlement européen portant sur les successions internationales … Il n’est donc pas exclu qu’un contentieux se forme sur ce terrain.