Impossible, dans le cadre du droit français, de déshériter totalement ses enfants. Mais d’autres pays permettent de le faire. C’est ce que l’actualité vient de mettre en lumière.
Au regard du droit français, depuis le 17 août 2015, date d’entrée en application du règlement européen sur les successions, la loi applicable à une succession est, en principe, la loi de la dernière résidence habituelle du défunt.
Cette loi a vocation à régir l’ensemble des biens dépendant de la succession, meubles ou immeubles, situés aussi bien en France qu’à l’étranger. C’est notamment elle qui désignera les héritiers et leurs droits dans la succession.
Compte tenu de la mobilité croissante des personnes, l’application d’une loi étrangère à une succession comportant des biens en France sera une hypothèse de plus en plus fréquente.
Mais si, en France, la loi réserve obligatoirement à certains héritiers, notamment les enfants, une partie de la succession, tel n’est pas le cas partout dans le monde. Ainsi, les pays de Common Law (par exemple le Royaume-Uni ou les Etats-Unis) ignorent généralement cette notion de « réserve héréditaire ».
Peut-on déshériter ses enfants ?
Qu’advient-il alors lorsqu’une loi étrangère, ignorant la réserve héréditaire, est applicable à la succession ? Est-il possible, dans ce cas, de déshériter ses enfants ?
En réalité, toute la question est de savoir si la réserve héréditaire fait partie de ce que l’on appelle l’ordre public international français.
Or, cette question a récemment été tranchée par les tribunaux.
Ainsi, la Cour d’appel de Paris avait considéré en 2016 que la réserve ne constituait pas un principe essentiel de notre droit qui imposerait qu’il soit protégé par l’ordre public international français (CA Paris, 11 mai 2016, n°14/26247).
Cette analyse a été confirmée en septembre dernier par la Cour de cassation dans deux arrêts de principe (Cass. Civ. 1ère, 27 sept. 2017, n°16-13.151 et 16-17.198). Selon la Haute juridiction, une loi étrangère qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international.
Pour autant, elle prend soin de préciser qu’une telle loi pourrait être écartée si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français. Tel pourrait être le cas, semble-t-il, si l’application de loi étrangère laissait les héritiers évincés dans une situation de précarité économique ou de besoin.
Sous cette limite, il serait alors possible de déshériter ces enfants en partant vivre dans un Etat qui ignore la réserve héréditaire.
La question de rattachement à la loi étrangère
Mais attention, encore faut-il que le rattachement à la loi étrangère, en l’occurrence le choix du lieu de la dernière résidence habituelle, ne soit pas frauduleux, ce que les juges n’omettront pas de vérifier en cas de conflit.
Il ne faut pas, en effet, que ce choix soit artificiel et effectué dans le seul but d’éluder l’application de la loi qui aurait été normalement applicable. A cet effet, plusieurs indices seront examinés : date d’installation dans l’Etat de la dernière résidence habituelle, liens entretenus par le défunt avec cet Etat (lieu de célébration du mariage, de naissance des enfants ou de situation de l’essentiel de son patrimoine), date du testament, etc.
Arlette Darmon
Notaire à Paris, Office Monassier & Associés
et Hervé Manciet
Directeur du Centre d’Etudes et de Recherche du Groupe Monassier
Article paru dans Les Echos le 16 février 2018
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