Plusieurs décisions ont été rendues récemment sur le régime de la TVA immobilière : focus sur les plus importantes en matière de champ d’application de la TVA immobilière à un particulier et d’application de la TVA sur marge à la vente de terrains à bâtir.
Inapplicabilité par le lotisseur du régime de la TVA sur marge à la vente de terrains à bâtir après démolition du bâti existant : la condition d’identité juridique propre à l’achat-revente est maintenue
Aux termes d’un attendu limpide, le Conseil d’Etat met un terme à un contentieux de dix années entre les juridictions du fond et l’administration fiscale sur l’applicabilité de la TVA sur marge aux cessions de terrains à bâtir.
Pour mémoire, d’un côté, de nombreuses juridictions du fond ont jusqu’alors considéré que l’application de la TVA sur la marge en matière de livraison de terrain à bâtir est conditionnée au seul fait que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert de droit à déduction de la TVA, peu important que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien en cause aient été modifiées avant la cession, procédant ainsi à une interprétation littérale de l’article 268 du CGI.
D’un autre côté, selon l’Administration fiscale, la mise en œuvre de la TVA sur la marge suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification identique au bien acquis.
Rappelons néanmoins qu’aux termes d’une réponse ministérielle (Rép. Min. Vogel n° 4171, 17 mai 2018, P. 2361) le Ministre a assoupli sa position en admettant l’application du régime de la TVA sur marge lorsque la condition d’identité physique entre le bien acquis et le bien cédé n’était pas remplie, sous réserve malgré tout que la condition d’identité juridique soit respecté (hypothèse de la division d’un terrain en vue de la revente en plusieurs lots).
En l’espèce, une société exerçant une activité de marchand de biens et de lotisseur, a procédé à la cession de sept parcelles dont six terrains à bâtir, résultant de la division d’une parcelle unique sur laquelle était édifiée, à la date de l’acquisition, un immeuble d’habitation que la société a fait démolir préalablement à la division et à la vente. Elle a, dans les déclarations qu’elle a souscrites au titre de la TVA, estimé pouvoir faire application à ces opérations du régime de la TVA sur la marge.
A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’Administration a remis en cause l’application de la TVA sur marge au motif que les terrains revendus ont été acquis en tant qu’immeuble bâti.
La Cour administrative d’appel a jugé applicable le bénéfice du régime de la TVA sur la marge considérant que celui-ci n’était subordonné qu’à la seule condition que l’acquisition du bien cédé n’ait pas ouvert droit à déduction de la taxe.
Au contraire, la Haute juridiction administrative retient que les dispositions de l’article 268 du CGI, lues à la lumière de celles de la directive TVA n° 2006/112/CE du 28 nov. 2006, « s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur. »
Selon le Conseil d’Etat, l’application du régime de la TVA sur marge requiert deux conditions cumulatives :
- Une acquisition qui n’a pas ouvert un droit à déduction ;
- Une condition d’identité tenant à l’absence de modification de la qualification juridique du bien en cause entre son acquisition et sa vente.
Par conséquent, cet arrêt confirme la doctrine administrative relative aux conditions d’application de la TVA sur marge aux cessions de terrains à bâtir issus de la démolition d’immeubles acquis bâtis par les lotisseurs, et par extension aux seuls cas dans lesquels le bien acquis et le bien vendu conservent la même qualification juridique. Cependant, il ne se prononce pas sur l’identité de qualification physique : la prudence s’impose.
Au surplus, elle offre une base incontestée aux procédures de contrôle et aux affaires pendantes devant les tribunaux et laisse entrevoir à l’Administration la perspective de futurs contrôles portant sur les années non prescrites visant à exiger des lotisseurs des compléments de TVA non négligeables assortis, a minima, de majorations de retard.
Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de confirmer sa position par deux arrêts en date du 1er juillet 2020 en rappelant que « les règles de calcul dérogatoires de la TVA s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti ».
CE, 27 mars 2020, n° 428234
CE, 1er juill. 2020, n° 431641
CE, 1er juill. 2020, n° 435463
Restitution de TVA sur marge acquittée lors de la vente de terrains à bâtir : le Conseil d’Etat saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
Quelques semaines après que le Conseil d’Etat ait confirmé que le régime de la TVA sur marge était conditionné, entre autres, à une condition d’identité entre le bien vendu et le bien acquis, un nouveau contentieux porte ce régime de la TVA sur marge devant la CJUE.
Le contentieux en cause portait initialement sur un refus de restitution de TVA sur marge acquittée au titre de la vente de terrains à bâtir relevant du régime antérieur de la TVA immobilière (ancien régime applicable avant le 11 mars 2010).
Le Conseil d’État sursoit à statuer et renvoie à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :
- l’article 392 de la directive TVA doit-il être interprété comme réservant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ? Ou permet-il d’appliquer ce régime à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ?
- l’article 392 doit-il être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :
- lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;
- lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) ?
Selon l’article 392 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, « les états membres peuvent prévoir que pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat ».
Même si cette jurisprudence intéresse l’ancien régime de TVA immobilière, la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne pourraient avoir des conséquences sur le régime actuellement applicable et permettre de lever certaines interrogations qu’ont pu faire naître les récentes prises de position de l’administration et du Conseil d’Etat. A suivre….
CE, 25 juin 2020, n°416727
Précision sur la notion d’assujetti à la TVA : vers un élargissement du champ d’application de la TVA immobilière à un assujetti occasionnel
Dans notre cas, un particulier a cédé comme terrain à bâtir, pour la somme de 1 307 400 euros, dix-huit parcelles dont l’emprise globale avait été acquise entre 1977 et 1991 et qu’il avait fait aménager à compter de 2010 en procédant à des travaux de viabilisation d’un montant de 552 281, 89 euros, représentant plus de 40 % du prix de vente et un montant unitaire de plus de 30 000 euros par parcelle.
La Cour administrative d’appel, après avoir estimé que de tels travaux, eu égard à leur importance, ne relevaient pas de la simple gestion d’un patrimoine privé mais caractérisaient l’existence de démarches actives de commercialisation, en a déduit que le requérant particulier avait exercé, à raison de cette opération, une activité économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, alors même qu’il n’aurait, par ailleurs, pas mis en œuvre des moyens de vente de type professionnel.
Le Conseil d’Etat confirme la position de la CAA : la livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique.
En théorie, le législateur ne soumet les cessions de terrains à bâtir à la TVA que lorsqu’elles sont réalisées par des assujettis agissant en tant que tels (CGI, art. 256 et 257). Selon la doctrine administrative, pour déterminer si une personne qui réalise une livraison d’immeuble a la qualité d’assujetti, il convient de faire application du droit commun de la TVA qui vise les opérations réalisées par « un assujetti agissant en tant que tel ». Sont considérées comme assujetties les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques en qualité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées, quels que soient leur statut juridique, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention.
Néanmoins, si le particulier est présumé ne pas réaliser une activité économique en cas de cession de terrains à bâtir, la doctrine administrative admet que cette présomption puisse être renversée lorsque le cédant entre dans une démarche active de commercialisation foncière, acquérant les biens en dehors d’une pure démarche patrimoniale ou mobilisant des moyens qui le placent en concurrence avec les professionnels.
La solution retenue par le Conseil d’État valide ainsi la doctrine administrative relative aux conditions d’assujettissement à la TVA des opérations de lotissements réalisées par des personnes, qui n’ont pas la qualité d’assujetti, lorsqu’elles mobilisent des moyens similaires aux professionnels pour parvenir à la commercialisation de leur lotissement.
En conséquence, il devrait incomber à tout lotisseur occasionnel qui entend mobiliser des moyens importants soit pour la viabilisation des terrains soit pour la commercialisation de son lotissement de se conformer aux obligations déclaratives incombant aux assujettis à la TVA, sauf à obtenir en préalable un rescrit particulier lui confirmant le caractère purement patrimonial de son opération.
CE, 8e -3e chambres réunies, 9 juin 2020, n° 432596