Genèse, dispositions techniques, conséquences pratiques et avenir du nouveau contrat de vente en l’état futur de finitions (VEFF) introduit par la loi ELAN.
Quelques réflexions autour de la politique législative
La loi du 3 janvier 1967 et son décret d’application du 22 décembre de la même année ont institué le contrat de vente d’immeuble à construire. La pratique s’en est emparée, et pendant près de 50 ans, le dispositif issu de ce texte, enrichi par les professionnels, a été utilisé quotidiennement pour mener à bien un contrat parmi les plus sophistiqués qui soient : la vente en l’état futur d’achèvement (la vente à terme étant utilisée de manière marginale).
Il faut tout de même s’arrêter un bref instant sur ce dont il s’agit pour bien en mesurer l’exceptionnelle portée : nous signons un acte de vente de quelque chose qui n’existe pas. Néanmoins, une partie substantielle du prix de vente est versée au vendeur… Le niveau de sécurité atteint par le contrat est tel qu’on en oublie le côté tout à fait extraordinaire de la chose…
Cette sécurité résulte d’un ensemble de paramètres juxtaposés de manière heureuse, produisant le résultat que l’on sait.
Le corpus de textes est relativement modeste : la loi et le décret sont assez courts, bien loin de certaines logorrhées actuelles. Il est regrettable que ces textes ne soient pas une source d’inspiration plus fréquente. Mais, pendant des années, la VEFA a été un havre de paix législative : aucun texte n’est venu troubler l’équilibre mis au point.
Une première inquiétude s’est faite jour lors de la mise en place de la vente d’immeuble à rénover. Comment fait coïncider la VEFA avec un nouveau contrat dont l’objet était tout de même un peu différent ? Prudent, le législateur de 2006 a choisi d’intégrer dans le code de la construction et de l’habitation un nouveau chapitre à part, distinguant bien les deux contrats.
Seulement, 15 ans après, l’approche n’est plus la même. La flambée des prix de l’immobilier et quelques réalités très prosaïques ont eu raison de l’approche monolithique de la VEFA :
a) Il est un lieu commun de constater l’envolée des prix de l’immobilier, en particulier de l’immobilier neuf. Portés par le double effet de la recherche des emplacements de qualité dans les métropoles régionales et sur le littoral (sans parler du marché parisien) ainsi que par l’investissement locatif « défiscalisant », les prix n’ont cessé de monter, à tel point que les accédants ont de plus en plus de difficulté à trouver un logement à une distance raisonnable des cœurs des grandes villes. Pour le législateur, cela ne pouvait plus durer.
b) la définition de l’achèvement de la VEFA telle qu’elle résulte de l’article R 261-1 CCH a parfois pu être ressenti comme un frein, ou être un facteur de renchérissement inutile dans la relation entre le promoteur immobilier et son client. Prenons un seul exemple : la notion d’achèvement telle qu’elle est comprise actuellement impose l’habitabilité de l’immeuble, et notamment l’installation d’un évier dans la future cuisine, ainsi que la robinetterie ad hoc. On habite dans un endroit lorsque l’on peut y préparer un repas ! En réalité, la plupart du temps, cet évier n’était utile que pour la livraison. Dès qu’il était en possession des clés, l’acquéreur accueillait son cuisiniste dont la première mission consistait à démonter l’évier en question pour installer la cuisine choisie par l’acquéreur en dehors de tous liens contractuels avec le promoteur. Et tous les éviers d’un programme neuf de se retrouver recyclés, voir à la décharge… Alors, à quoi bon imposer au promoteur la réalisation de ce type d’équipement ? Plutôt trouver une voie permettant de s’en exonérer.
Devant la difficulté à maîtriser les prix de vente (souvent face à une demande pressante des aménageurs publics), les professionnels ont très vite eu des idées pour faire diminuer les prix et notamment la plus simple d’entre elle : pour diminuer le prix, diminuons les prestations. Effectivement, il suffisait d’y penser…
Nous avons donc vu fleurir de nouveaux produits dont les noms variaient selon les régions, mais dont l’optique restait la même : le promoteur réalise une coque à aménager, et la vend en l’état à l’acquéreur qui termine les travaux. Notons encore que la pratique a devancé ici le législateur, tant et si bien qu’il a fallu être attentif au produit proposé, car les articles L 261 et s. du CCH (d’ordre public…) veillaient. Aussi, nous avons donc vu l’intérieur de ces coques se doter d’un studio, le plus petit possible et le moins équipé possible de façon à vendre un logement « habitable ». Dès la livraison, les éléments d’équipements du studio étaient démontés, et le studio devenait une chambre ou un bureau du futur logement que l’acquéreur terminait, parfois dans des proportions importantes.
Ces errements ne pouvaient plus durer. L’article 75 de la loi ELAN, déjà présenté dans cette Newsletter, est venu créer un nouveau régime de vente d’immeuble à construire, ou plus exactement a choisi d’adapter le régime de la VEFA à cette nouvelle donne de la construction.
Il faut souligner que la méthodologie retenue a fait passer dans les milieux professionnels le grand souffle de l’effroi, car au lieu de suivre la piste de la VIR (pour laquelle le législateur avait créé un chapitre « indépendant »), le choix a été fait, cette fois-ci, de modifier les articles relatifs à la VEFA pour les adapter à cette nouvelle situation, au risque de déstabiliser l’entier système…. Il n’y a qu’à se reporter aux articles publiés sur le sujet pour constater que les questions étaient beaucoup plus nombreuses et profondes que les réponses apportées par le texte. Saluons tout de même un point : en moins d’un an, le dispositif a été fixé, grâce à l’article 75 de la loi ELAN (publiée le 23 novembre 2018, le décret d’application du 25 juin 2019 et enfin l’arrêté du 28 octobre 2019 qui clôt le corpus.
Cette rapidité n’a pas nuit au dispositif, bien au contraire : l’arrêté rassure ceux qui voyaient à juste titre dans ce nouveau texte un mauvais coup porté à la VEFA.
Les dispositions techniques
La présente note n’a pas pour objet de reprendre intégralement le dispositif de la loi et du décret, puisque c’est finalement l’arrêté qui donne le plus d’informations : que peut faire l’acquéreur, et que ne peut-il pas faire ?
L’article 1 de l’arrêté rappelle que l’acquéreur peut :
- installer les équipements sanitaires de la cuisine ainsi que le mobilier
- installer les équipements sanitaires des salles de bains ainsi que le mobilier
- installer les équipements sanitaires des lieux d’aisance
- poser le carrelage mural
- poser le revêtement de sol à l’exclusion de l’isolation
- réaliser la décoration des murs
Toutefois, ces travaux doivent être :
- sans incidence sur la structure de l’immeuble,
- ne pas générer d’intervention sur les chutes d’eau, les alimentations en fluide et les réseaux aérauliques (parties communes de l’immeuble),
- ne pas modifier les canalisations d’alimentation et d’évacuation d’eau et d’alimentation de gaz nécessitant une intervention sur les éléments de structure
- sans effet sur les entrées d’air
- sans effet sur le tableau électrique, qui ne saurait être modifié ou déplacé.
Que conclure ? Que les travaux que l’acquéreur peut être amené à réaliser sont des travaux de finition à l’intérieur de la partie privative de son lot, sans pouvoir toucher de quelque manière que ce soit aux parties communes.
Il faut avoir ici conscience que nous revenons de très loin, car s’il subsiste encore des questions, elles sont moins inquiétantes que ce qu’était le droit positif à la sortie du décret. Il en reste néanmoins, et c’est pourquoi il convient de réfléchir maintenant à des solutions pratiques.
Conséquences pratiques
Il est évidemment trop tôt pour tirer des enseignements concrets en étudiant une pratique qui, pour l’instant, n’a pas encore eu le temps d’entrer dans le paysage de la promotion immobilière. Il n’est pas certain qu’un succès massif soit au rendez-vous. Pour autant, nous nous trouverons face, de temps à temps à un programme de ce type, et il nous faudra être vigilants sur quelques points pour soit les traiter dans l’acte, soit attirer l’attention des clients (promoteurs et acquéreurs) sur des difficultés d’exécution qui pourront se produire. Nous prendrons deux exemples : l’acte d’engagement, et les relations entre le promoteur et ses partenaires (banquiers et assureurs)
1) L’acte d’engagement
a ) un contrat préliminaire devenu obligatoire
A quel moment les éventuelles finitions réservées (ou imposées…) doivent-elle être indiquées ? La doctrine est désormais quasiment unanime pour indiquer que ce point doit être fixé au contrat préliminaire. Elle est également unanime pour dénoncer ce fait, qui impose la rédaction d’un contrat préliminaire que le texte fondateur de 1967 n’a jamais rendu obligatoire…
Il est utile de rappeler brièvement qu’à l’origine du dispositif, le contrat préliminaire était vécu comme un test de commercialisation du projet. Il n’était pas obligatoire de l’établir. Cependant, il faut reconnaître que, comme dans la vente de l’immeuble bâti, le centre de gravité de la transaction globale de la VEFA s’est déplacé de l’acte de vente à ce que nous avons coutume d’appeler « l’avant-contrat ». Certes, la résistance est plus forte que pour l’immeuble bâti, mais la marche est inexorable…
Si la pratique peut partager la réserve affichée par la doctrine face à un contrat préliminaire devenu obligatoire dans le cas de figure qui nous occupe, doit-elle pour autant craindre de graves conséquences au quotidien ? Il est vraisemblable que non, pour la bonne raison que le contrat préliminaire, « test de marché », a pratiquement disparu du paysage de la VEFA. L’article 75 de la loi ELAN entérine le fait qu’aujourd’hui, les VEFA signées directement, sans mise en place d’un contrat préliminaire, sont l’exception, pour ne pas dire inexistantes.
b ) un contrat préliminaire pivot de la vente en état futur de finition
La vente en état futur de finitions exige désormais la signature d’un contrat préliminaire qui peut prévoir qu’en cas de conclusion de la vente « l’acquéreur se réserve l’exécution de travaux de finition ou d’installation d’équipements qu’il se procure lui-même » faisant clairement apparaître que « l’acquéreur accepte la charge, le coût et les responsabilités qui en résultent… »
Notons tout d’abord qu’en préambule, le texte rappelle curieusement que « le contrat comporte alors une clause en caractères très apparents… » Une telle approche ne peut qu’étonner le rédacteur de contrats, qui comprend mal qu’il existe des clauses en caractères apparents, ce qui signifie a contrario que certaines clauses seraient en caractères peu, voir pas apparents….
La doctrine a rappelé tout ce que ce dispositif devait au contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan, codifié aux articles L.231 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Décalquer une technique éprouvée d’un contrat à l’autre permet souvent de gagner un temps précieux. Le promoteur devra donc, en accord avec l’acquéreur, dresser la liste des travaux que ce dernier se réserve. Il devra également la chiffrer et mentionner le coût total de l’immeuble. Comme pour le Contrat de Construction de Maison Individuelle (CCMI), l’acquéreur aura la faculté de revenir sur sa décision de réserver l’exécution de certains travaux pour qu’in fine, le promoteur réalise l’intégralité de la prestation au prix convenu dès l’origine.
On comprend mieux pourquoi c’est dès la réservation que ces points doivent être fixés. Si on attend la notification du projet d’acte imposé par l’article R 261-30 CCH, il sera sans doute trop tard pour fixer tous ces choix, qui feront peser sur le promoteur des risques financiers que les marges actuelles dégagées par les opérations de promotions ne lui permettront pas de supporter. Acceptons donc le fait que le contrat préliminaire est désormais le pivot de la vente en état futur de finition, et que tout doit être fixé à la signature de ce document.
2) Les rapports entre le promoteur et ses partenaires financiers : banquiers et assureurs
Nous allons aborder des questions dont nous mesurons mal la dimension aujourd’hui, mais dont il est certain qu’elles auront des conséquences sur les rapports entre tous les partenaires des opérations de promotions. En effet, quelle sera la position de tous les professionnels face à ce nouveau contrat ?
Posons tout d’abord le cadre concret de la question : si un promoteur décide de réaliser un programme en état futur de finition, c’est notamment pour réduire son coût de construction. On peut penser qu’il sollicitera son banquier, garant de l’achèvement, et son assureur de dommages pour voir réduire le coût de ces postes, puisque ses prestations seront moindres.
C’est oublier que l’acquéreur, comme on l’a vu, a la faculté de solliciter du promoteur la réalisation des travaux qu’il s’était réservés. Face à cette possibilité, le promoteur se retrouve confronté à une double logique contradictoire :
- ou bien il instaure une « navette » avec son banquier et son assureur, de manière à faire périodiquement le point sur les travaux réservés par ses acquéreurs, ceux qui les maintiennent et ceux qui les abandonnent. Ces navettes devront nécessairement déboucher sur des avenants réduisant ou étendant le champ d’application des garanties. Il n’est pas certain que les partenaires du promoteur seront ravis de ce travail supplémentaire, notamment en cas d’extension des garanties qui imposera peut-être un nouveau passage devant les comités de direction.
- ou bien il sollicite d’entrée de son banquier et de son assureur un niveau de garantie maximal, comme si les acquéreurs ne se réservaient aucun travaux. Ce faisant, il devra donc supporter des coûts (qu’il refacturera nécessairement aux acquéreurs dans les prix de vente…) pour garantir des prestations non réalisées, ce qui ne réjouit personne….
Quel avenir pour ce contrat ?
L’art de la divination est délicat. Toutefois il est possible d’envisager certains éléments objectifs pour définir ce que pourrait être le champ d’application concret de cette nouvelle pratique.
On peut tout d’abord douter du fait que les promoteurs d’envergure nationale, voire régionale, utiliseront cette réserve de finitions. Sur les grandes opérations, il est difficile de réfléchir au cas par cas, source d’erreurs. Le dossier avance mieux lorsqu’il fonctionne selon un modèle standardisé. C’est très souvent (pour ne pas dire toujours) la volonté des acquéreurs de biens neufs à usage locatif, recherchant de la défiscalisation et n’envisageant pas de changer quoi que ce soit dans le descriptif proposé par le promoteur. Il ne saurait être question pour eux de se réserver des travaux à réaliser, quelque soit leur nature ou leur importance. Nous savons qu’aujourd’hui, ces acquéreurs représentent la moitié du marché.
Par ailleurs, pour les acquéreurs qui souhaitent personnaliser leur intérieur, il existe toujours la possibilité de solliciter auprès du promoteur des travaux modificatifs. La pratique en est connue : elle débouche sur la signature de documents complémentaires (plans et descriptif) postérieurement à l’acte de VEFA.
On peut douter que, dans ces hypothèses, la VEFF rencontre un très grand succès.
Restent deux cas de figures dans lesquels ce contrat pourrait se développer : certains promoteurs d’envergure financière moindre pourraient le proposer, et certaines collectivités publiques pratiquant l’aménagement pourraient l’imposer.
Nous l’avons dit, ce contrat est censé baisser le coût de construction pour le promoteur, ce qui devrait avoir des répercussions sur le prix d’acquisition. Par ailleurs, le promoteur pourrait être motivé par le fait que, l’acquéreur se réservant les finitions, le chantier dure moins longtemps et la livraison intervienne plus rapidement. Cette piste existe, mais elle reste incertaine, sachant les difficultés qui ne manqueront pas de surgir face à l’imbrication de la garantie décennale due par le promoteur, et celle que l’acquéreur (qui sera devenu le maître de l’ouvrage) prendra sur ses épaules pour les finitions et qu’il garantira à son propre acquéreur en cas de revente dans le délai de 10 ans de l’achèvement de ses propres travaux. Tout ceci paraît quelque peu compliqué, et pour reprendre un adage populaire, il n’est pas certain que le « jeu (en l’espèce l’économie attendue) en vaille la chandelle… »
Reste alors la figure imposée : la collectivité locale aménageur qui impose au promoteur lauréat un « prix de sortie maîtrisé ». Pour que cela soit une réalité, la seule solution consiste à réduire la prestation du promoteur. Le prix ainsi baissé, on compte sur le fait que l’acquéreur aura la capacité, par ses talents de bricoleur avisé, de terminer le logement. Mais il faut ici prendre en compte un paramètre important : lorsque le concept a été lancé, les travaux qu’était sensé se réserver l’acquéreur étaient importants : le promoteur réalisait une coque créant un volume intérieur à aménager en totalité. Il n’est pas certain aujourd’hui que, eu égard aux types de travaux autorisés par l’arrêté, l’aménagement intérieur total puisse être réalisé par le seul acquéreur sauf s’il est amateur de « lofts »… Peut-il réaliser un plancher par exemple ? Ce n’est absolument pas certain, sauf à ne pas toucher la structure porteuse, ce qui limite fortement les possibilités.
Quel avenir pour ce nouvel outil ? Sans doute pas aussi glorieux que l’on pouvait l’envisager à l’origine. Peu ou pas concerné par l’investissement immobilier défiscalisant, peu utile en matière d’achat en résidence principale, son terrain d’élection envisagé a vu son périmètre réduit par le décret d’application et surtout par l’arrêté précisant les travaux réalisables. Très inquiétant à l’origine, il se pourrait que le procédé ne soit finalement qu’anecdotique.
Pierre-Jean MEYSSAN
Notaire à Bordeaux, Meyssan & Associés