Il n’est pas rare qu’un terrain à bâtir soit détenu en démembrement à l’issue d’une succession ou au terme d’une donation-partage dans le cadre d’une anticipation successorale.
Dans une optique d’optimisation de transmission du patrimoine, la tentation peut être grande pour l’usufruitier-parent de prendre en charge financièrement la construction envisagée afin d’en faire bénéficier gratuitement sa descendance au jour de son décès.
Pour rappel, les spécificités des droits que détiennent un usufruitier et un nu-propriétaire font qu’il existe deux propriétaires, titulaires de droits distincts. Le nu-propriétaire est un propriétaire en germe, et a vocation à le devenir pleinement lors de l’extinction de l’usufruit et cela sans aucune nouvelle taxation aux droits des successions (sous réserve de faire échec à la présomption de fictivité prévue à l’article 751 du Code général des impôts). L’usufruitier a, quant à lui, l’avantage de pouvoir profiter du bien sa vie durant.
Mais l’administration fiscale ne pourrait-elle pas considérer qu’il s’agit là d’une forme de donation indirecte avec toutes ses conséquences fiscales ? Différents éléments de réponse nous permettent de croire que ce schéma d’optimisation de transmission est encore épargné par Bercy.
Les dernières jurisprudences
Il ressort, globalement, des dernières décisions jurisprudentielles sur ce sujet une analyse bienheureuse pour le contribuable, puisqu’elles assimilent l’usufruitier à un preneur à bail et permettent ainsi d’éluder toute indemnisation ou taxation au titre des droits de donation. Afin de conforter ces décisions, le Code civil nous rappelle que les grosses réparations sont normalement à la charge du nu-propriétaire et que les travaux d’amélioration sont à la charge de l’usufruitier, le tout sans indemnisation. La construction reposant sur une forme d’amélioration du terrain, qui en augmente la valeur, incomberait alors à l’usufruitier.
Enfin, la requalification en donation indirecte supposerait de justifier le triptyque bien connu des professionnels du droit : enrichissement du donataire, appauvrissement du donateur, et l’« animus donandi ».
L’usufruitier étant propriétaire des constructions et pouvant en jouir sa vie durant, sous l’analyse de la Cour de cassation, il n’existe aucun enrichissement immédiat de la part du nu-propriétaire. L’appauvrissement de l’usufruitier est contestable dans la mesure où le coût des travaux pourrait être comparé par exemple à une économie de loyer en résultant.
Quant à l’intention libérale, si l’utilité est contestée, elle n’est pas révélatrice en soi d’un mobile altruiste et volontaire. L’usufruitier peut, dans la majorité des cas, prétendre à un intérêt certain de l’opération sans volonté expresse de gratification.
Rappelons néanmoins que seul un examen des faits permet d’éluder sereinement le caractère intentionnel de gratification. Il pourrait en être autrement en cas de réalisation d’une construction en toute fin de vie par l’usufruitier, l’administration fiscale se réservant la possibilité de sanctionner ce type d’opération sur le terrain de l’abus de droit…
Nicolas JONQUET
Notaire à Troyes, membre du Groupe Monassier
Article paru dans Les Echos le 5 mai 2017
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