Dans un récent arrêt, le Conseil d’Etat précise les modalités d’appréciation de la notion de « réinvestissement économique », au sens du dispositif de sursis d’imposition de l’article 150-0 B du Code général des impôts (CGI), dans sa rédaction applicable à la cause (les faits datent de 2006).
M. X, associé d’une société A, avait apporté au capital de ladite société des actions d’une société B, plaçant la plus-value réalisée à l’occasion de cette opération d’apport en sursis d’imposition. La société A, quelques semaines plus tard, cède les titres de la société B qui lui avaient été ainsi apportés. L’administration remet en cause le bénéfice du sursis d’imposition et réintègre son montant dans le revenu imposable du contribuable, relevant un abus de droit fiscal.
Le Conseil d’Etat, appréciant l’abus de droit au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF), caractérise la fraude à la loi, rappelant qu’elle est constituée dès lors que le contribuable fait une application littérale d’un texte contraire aux objectifs poursuivis par ses auteurs.
Au cas présent, il relève notamment qu’il ressort des travaux préparatoires ayant institué le régime de sursis d’imposition en cause que le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d’entreprises en octroyant un sursis d’imposition pour les plus-values résultant d’opérations qui ne dégagent pas de liquidités.
Dès lors, l’opération par laquelle des titres d’une société sont apportés par un contribuable à une société qu’il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, ne répond à l’objectif économique ainsi poursuivi par le législateur que lorsque le produit de cession fait l’objet d’un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société.
En revanche, en l’absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l’imposition de la plus-value, à minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.
De cette analyse, les juges du Palais Royal tirent plusieurs conclusions éclairantes :
- l’acquisition par la société, au moyen du produit de la cession des biens apportés, de biens appartenant au contribuable ne peut être regardée comme un réinvestissement à caractère économique dès lors qu’elle permet à celui-ci d’appréhender tout ou partie du produit de cession des titres ayant fait l’objet de l’opération d’apport ;
- un prêt peut, au regard notamment de la qualité de l’emprunteur, de son objet et de ses modalités, s’analyser comme un investissement à caractère économique ;
- l’acquisition d’un terrain par la société, au moyen du produit de la cession des biens apportés, peut constituer en soi un réinvestissement économique, alors même qu’elle n’aurait été suivie d’aucun investissement économique particulier, en fonction de l’objectif poursuivi par cette acquisition à la date où elle a été réalisée (en l’espèce, l’absence de suites économiques à cette acquisition de terrain résultait d’une modification ultérieure de la réglementation, selon les Editions Francis Lefebvre).
CE, 9e et 10e ch., 10 juill. 2019, n° 411474