La CJUE confirme en émettant des réserves que la réglementation nationale encadrant la location de courte durée dans les grandes villes est conforme au droit européen.
La transformation de l’usage d’un bien immobilier de l’habitation vers un « autre usage »
La transformation de l’usage d’un bien immobilier de l’habitation vers un « autre usage » est contrôlée par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation (CCH). Il n’est pas loisible au propriétaire de modifier l’usage d’un bien, situé sur une commune en zone tendue, c’est-à-dire carencée en logements. Une autorisation administrative est préalablement requise, dans les communes de plus de 200 000 habitants (Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon, Toulouse, Nantes, Montpelier, Lilles, Nice, Rennes, Strasbourg) et celles de la petite couronne (les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne). Dans ces communes, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est, dans les conditions fixées par l’article L. 631-7-1 du CCH, soumis à autorisation préalable.
Le dispositif d’encadrement des locations meublées touristiques
Suite à la prolifération des plateformes de location type Airbnb, le législateur a complété l’article L 631-7 du CCH en disposant que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage ». L’article L 631-7 du CCH comporte ainsi un dispositif d’encadrement des locations meublées touristiques type Airbnb. Par cette définition légale, la location meublée touristique est qualifiée de changement d’usage et nécessite donc une autorisation.
L’examen du dispositif « anti-Airbnb » par la Cour de justice de l’Union européenne
Cette limitation, soumettant à autorisation préalable la location de courte durée, a fait l’objet d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation à la Cour de justice de l’Union européenne, le 15 novembre 2018, concernant la conformité de la réglementation nationale avec la directive 2006/123, relative aux services dans le marché intérieur.
La Cour de justice de l’union européenne vient de se prononcer, par un arrêt du 22 septembre 2020 opposant la ville de Paris à deux loueurs en meublés touristiques, en indiquant que la réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, point 6, de la directive 2006/123 précitée.
Elle relève que l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location « de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage » et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d’octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d’objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements et accentuer l’augmentation des loyers en zone tendue, en les assortissant au besoin d’une obligation de compensation, pour autant que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.
Les arguments de la CJUE
La réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation doit être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et l’objectif poursuivi par ce régime ne doit pas pouvoir être réalisé par une mesure moins contraignante (critère de proportionnalité). Par cet arrêt, la Cour met en lumière la raison impérieuse d’intérêt général : lutter contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée, et répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur les marchés immobiliers.
D’autre part, la Cour constate que la réglementation nationale est proportionnée à l’objectif poursuivi. Premièrement car elle est circonscrite à une activité spécifique de location, ensuite car elle ne porte pas sur les logements qui constituent la résidence principale du loueur et troisièmement car elle s’applique selon un périmètre géographique restreint. La Cour relève que le changement d’usage peut être assorti d’une compensation concomitante, dont le quantum est défini par le conseil municipal des communes, pour participer au maintien des surfaces d’habitation.
En outre, la Cour rappelle que l’affichage en mairie et la mise en ligne, sur le site Internet de la commune, des comptes rendus des séances du conseil municipal, permet de satisfaire aux exigences de publicité préalable, de transparence et d’accessibilité des conditions d’octroi des autorisations.
Une conformité sous réserves
Toutefois, la Cour émet une importante réserve concernant la proportionnalité de l’obligation de compensation. Il appartient au juge national de vérifier si cette faculté répond effectivement à une pénurie de logements destinés à la location de longue durée, constatée sur les territoires concernés. Ensuite, la juridiction nationale doit s’assurer que cette même faculté s’avère adaptée à la situation du marché locatif local, mais également compatible avec l’exercice de l’activité de location en cause. À cette dernière fin, elle doit prendre en considération la surrentabilité généralement constatée de cette activité par rapport à la location de locaux destinés à l’habitation résidentielle. Enfin, la juridiction nationale doit prendre en considération les modalités pratiques permettant de satisfaire à l’obligation de compensation, en vérifiant que ces mécanismes répondent à des conditions de marché raisonnables, transparentes et accessibles.
CJUE, communiqué de presse n° 111/2020
CJUE, 22 sept. 2020, arrêt C-724/18