Aux termes d’un arrêt du 30 juin 2021, la Cour de cassation rappelle le principe de la prohibition des clauses d’indexation asymétrique ainsi que la portée de la sanction applicable, reprenant méthodiquement le cheminement jurisprudentiel initié par l’arrêt du 14 juin 2016.
En l’espèce, la société Re…T a donné à bail à la société HF… des locaux à usage commercial à compter du 1er mai 2009. Précisions étant faite que le contrat de bail comporte, en son article 6, une clause d’indexation annuelle stipulant que l’indexation ne s’appliquera qu’en cas de variation de l’indice à la hausse.
Le 23 septembre 2016, la société HF… a assigné la société Re…T aux fins de voir déclarer la clause d’indexation réputée non écrite et de la voir condamner à lui restituer la somme de 96 379,31 euros sur le fondement de la répétition de l’indu pour la période s’étendant du premier trimestre 2011 au deuxième trimestre 2016.
La Cour d’Appel de Reims, a déclaré recevable l’action engagée par la SA HF… en ce qu’elle tend à déclarer réputée non écrite la clause d’indexation contenue dans le bail du 23 février 2009. Cependant, l’action en répétition de l’indu engagée par la SA HF… pour les sommes perçues avant le 23 novembre 2011 est prescrite.
Par un arrêt de cassation partielle du 30 juin 2021, la Cour confirme tout d’abord que « la stipulation, qui a pour effet de faire échec au mécanisme de révision légale prévu par l’article L. 145-39 du Code de commerce, doit être réputée non écrite, de sorte que l’action intentée par la société HF… n’est enfermée dans aucun délai de prescription ». Puis, sur le fondement de l’article 1217 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, elle juge que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.
A titre liminaire, rappelons que la clause d’échelle mobile permet, en cours de bail, de faire évoluer automatiquement, le loyer en fonction d’un indice de référence et d’une périodicité convenue entre les parties. Si elle ne fait l’objet d’aucune définition légale, les évolutions ou baisses de loyers générées par la clause d’échelle mobile sont néanmoins réglementées par les articles L. 112-1 du Code monétaire et financier et L. 145-39 du Code de Commerce.
L’objectif de la clause d’indexation est d’adapter le loyer aux variations économiques. Or, les contentieux risquent de se multiplier face à une probable baisse des indices, puisque les locataires ne pourront pas en bénéficier sur leur loyer en raison de clauses aménageant le jeu de l’indexation. En outre, la possibilité pour les preneurs de récupérer les fruits d’une indexation illicite sur cinq années en arrière risque de rendre ce contentieux d’autant plus attrayant.
Depuis la promulgation de la loi Pinel, un important contentieux s’est développé autour des clauses d’indexation ou clauses « d’échelle mobile » sur le fondement de l’application combinée de l’article L.112-1 du Code monétaire et financier et de l’article L. 145-15 du Code de commerce, duquel découle le caractère non écrit des clauses qui ont pour effet de faire échec notamment aux dispositions de l’article L 145-39 du Code de commerce.
Mettant fin à des divergences jurisprudentielles, la Cour de cassation avait retenu la nullité de la clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation, et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse. En effet, cette stipulation qui va fausser le jeu normal de la variation, qui est de faire varier le loyer à la hausse comme à la baisse, doit être réputée non écrite sur le fondement de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier. Position également adoptée par la Chambre Commerciale.
Par ailleurs, faute d’une réelle réciprocité, la Cour a également considéré que la clause fixant un loyer plancher en deçà duquel il est interdit au preneur de solliciter la révision du loyer à la valeur locative lorsque celle-ci est inférieure au plancher convenu doit être réputée non écrite.
Ainsi, il semble acquis que toute clause d’indexation faisant obstacle à la libre variation du loyer indexé, toute clause d’indexation contenant un plancher ou un plafond, est réputée non écrite en vertu des dispositions combinées des articles L. 112-1 alinéa 2 du Code monétaire et financier et L. 145-39 du Code de commerce. Cependant, à notre connaissance, la Cour n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le caractère non écrit des clauses « tunnel », c’est à dire celles limitant le jeu de la clause d’échelle mobile tant à la hausse qu’à la baisse à un certain pourcentage de variation.
Ayant porté le litige devant la Cour de cassation, le bailleur soutient notamment que l’action tendant à voir réputée non écrite une clause se prescrit par cinq ans à compter du jour de la conclusion du contrat en application de l’article 2224 du Code civil. Il est ici fait référence à l’action en nullité qui est soumise à la prescription extinctive de droit commun (C. civ., art. 2224).
Or, la Cour de cassation rappelle que l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail commercial n’est pas soumise à prescription.
A cet effet, elle précise tout d’abord que l’article L. 145-15 du Code de commerce a substitué à la nullité des clauses, ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du Code de commerce, leur caractère réputé non écrit. Puis que cet article s’applique aux baux en cours lors de l’entrée en vigueur de ladite loi au visa express d’un arrêt du 19 novembre 2020 qui s’est prononcé sur l’application dans le temps de l’article L. 145-15 du Code de commerce aux baux commerciaux en cours à la date du 20 juin 2014.
En conséquence, une fois la clause d’indexation réputée non écrite, le demandeur pourra agir en répétition de l’indu, c’est-à-dire en remboursement des indexations indûment pratiquées. C’est l’action en répétition de l’indu de droit commun (C. civ, art. 1352) qui sera soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil. La Cour opère ainsi une distinction entre l’action en irrégularité de la clause d’indexation qui est imprescriptible et l’action en répétition des sommes indument payées qui est soumise à la prescription quinquennale.
Enfin, reste l’étendue de la sanction frappant la stipulation litigieuse de la clause d’indexation. L’enjeu est important puisqu’en cas d’annulation de la clause dans son intégralité, le locataire aura la possibilité de demander le remboursement du trop-perçu sur une période de 5 ans et la fixation du loyer à son montant initial avec une neutralisation de la clause d’indexation pour la durée restante du bail. Au contraire, en cas d’annulation de la seule stipulation litigieuse, la clause d’indexation est maintenue et « seul » le remboursement du trop-perçu sur une période de 5 ans sera dû par le bailleur.
Là encore, la Cour confirme sa jurisprudence antérieure et décide que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.
Il résulte de la jurisprudence récente que la caractérisation du caractère essentiel ou non de la stipulation prohibée, en tant qu’élément divisible ou indivisible de la clause d’indexation dans sa globalité permettra aux juges du fond de déterminer l’étendue de la sanction du caractère non écrit.
De ce fait, si la clause d’indexation illicite est jugée indivisible, elle doit être réputée non écrite dans sa totalité ; a contrario, si elle est divisible, seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.
Cass. 3e civ, 30 juin 2021, n° 19-23038