Lorsque le chef d’entreprise envisage de transmettre une partie de son patrimoine à ses enfants à l’occasion de la cession de son entreprise, il lui est souvent conseillé d’avoir recours à une opération de donation avant cession. L’avantage fiscal d’une telle stratégie patrimoniale est bien connu : il s’agit d’ « effacer » la plus-value sur les titres transmis.
Cependant, il est fréquent que le donateur souhaite continuer à percevoir des revenus, notamment par le biais d’une réserve d’usufruit, et contrôler la gestion des titres et fonds reçus par les donataires afin de les protéger de tout risque de dilapidation, en stipulant par exemple diverses clauses relatives à l’emploi des fonds en cas de cession.
L’administration fiscale se montre alors très hostile face à de telles opérations et tente de les remettre en cause sur le terrain de l’abus de droit fiscal, estimant alors que la donation est en réalité fictive et n’a eu pour but que d’éluder l’impôt sur les plus-values.
Mais, par un arrêt très attendu du 10 février 2017, le Conseil d’Etat vient de rassurer les praticiens en validant une opération de donation-cession avec réserve de quasi-usufruit au regard de l’abus de droit fiscal.
Pour la Haute juridiction, en effet, ni le délai très bref qui s’est écoulé entre l’acte de donation-partage et la cession des titres, ni les restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété des donataires, résultant notamment de l’interdiction d’aliéner ou de nantir les titres donnés pendant la vie des donateurs, ni encore l’obligation de réemployer le prix de vente des titres dans une société de gestion patrimoniale dont les statuts octroient aux donateurs des pouvoirs étendus de décision, notamment pour la distribution de bénéfices, ne peuvent, à eux seuls, suffire à regarder la donation comme purement fictive.
En effet, les juges estiment, d’une part, que la circonstance qu’un acte de disposition soit assorti d’une clause d’inaliénabilité durant la vie du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens de l’article 894 du Code civil. D’autre part, ils considèrent que l’octroi au donateur usufruitier de pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein de la société de gestion patrimoniale n’altère pas l’obligation de restitution en fin d’usufruit en vertu de l’article 587 du Code civil et n’est pas de nature, par lui-même, à remettre en cause le constat de son dépouillement immédiat et irrévocable dès la signature des actes de donation.
Il faut également noter que, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat considère qu’alors même que la créance de restitution n’est pas assortie d’une sûreté, ce qu’autorise expressément l’article 601 du code civil, le donateur doit être regardé comme s’étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens ayant fait l’objet de la donation. Attention toutefois, même si une telle dispense de sûreté est permise par loi, il peut être opportun, comme dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, d’aménager a minima au profit nus propriétaires une obligation d’information à la charge du quasi-usufruitier, de manière à ce qu’ils puissent prendre, le cas échéant, toutes mesures conservatoires de nature à protéger leurs droits.
Si cet arrêt est de nature à conforter la pratique, la mise en place d’un quasi-usufruit dans le cadre d’une opération de donation-cession doit toujours faire l’objet d’une attention particulière. En effet, il est bon de rappeler que le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de juger que la mise en place d’une convention de quasi-usufruit postérieurement à la cession des titres, en contradiction avec la clause de remploi figurant dans l’acte de donation initial, était abusive. Pour éviter toute remise en cause, il est donc nécessaire de prévoir la constitution du quasi-usufruit préalablement à la cession et de respecter les clauses de la donation.
CE, 10 fév. 2017, n°387960