La Cour de cassation se prononce sur le caractère d’ordre public du droit de préemption du locataire commercial et la notification au preneur d’une offre de vente sans honoraires de négociation.
Par un arrêt du 28 juin 2018 (Cass., 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-14.605), la Cour de cassation a apporté des précisions importantes en matière de droit de préemption du locataire commercial (C. com., art. L.145-46-1).
Les faits étaient les suivants : le propriétaire d’un immeuble à usage commercial loué à une société (la « Librairie B ») avait donné mandat à un agent immobilier de rechercher un acquéreur pour cet immeuble. Le 12 mai 2015, par l’intermédiaire de cet agent immobilier, un acquéreur avait fait connaître son intention d’acquérir l’immeuble. Huit jours après, le 20 mai 2015, le propriétaire notifiait à la société locataire une offre de vente aux clauses et conditions acceptées par l’acquéreur, à savoir un prix augmenté des honoraires de l’agent immobilier.
Le locataire accepta l’offre, à l’exception des honoraires. Le propriétaire assigna alors le locataire, l’agent immobilier et le candidat acquéreur aux fins que celui-ci soit autorisé à acquérir l’immeuble.
Mais les juges d’appel validèrent la préemption exercée par le locataire et condamnèrent le propriétaire à régulariser l’acte de vente en faveur de celui-ci, sans honoraires de l’agent immobilier.
Le candidat acquéreur se pourvut en cassation contre cette décision. Au soutien de son pourvoi, il arguait notamment que :
« 1°/ que la purge du droit de préférence ou de préemption du locataire commerçant peut s’opérer indifféremment, soit dès le moment où la vente est envisagée et avant même qu’un acquéreur ait été recherché et trouvé, soit au contraire après qu’un acquéreur eut été trouvé et les conditions de la vente définitivement négociées avec ce dernier ; que dans ce second cas de figure, l’exercice par le locataire de son droit de préemption a pour objet de lui permettre de se substituer, dans toutes ses obligations, à l’acquéreur évincé, et notamment dans son obligation de s’acquitter du montant de la commission due à l’agent immobilier » ; qu’en l’espèce, la notification du projet de vente à la société « Librairie B » était intervenue après que le candidat acquéreur se soit porté acquéreur du bien litigieux et qu’en jugeant néanmoins que le paiement de la commission due à l’agent immobilier ne pouvait être imposé au locataire exerçant son droit de préemption, la cour d’appel avait violé l’article L. 145-46-1 du code de commerce ;
« 2°/ que, subsidiairement, la notification qui lui est faite du prix et des conditions de la vente projetée, aux fins de purge de son droit de préférence ou de préemption, vaut offre de vente au profit du locataire ; que ce dernier dispose d’un délai d’un mois pour accepter purement et simplement cette offre, puis d’un délai de deux mois, éventuellement porté à quatre mois en cas de recours à un prêt, pour réaliser la vente, le non-respect de ces délais ayant respectivement pour effet de rendre caduque l’offre et l’acceptation de cette offre ; » qu’en l’espèce, la société « Librairie B » n’avait pas accepté purement et simplement, dans le délai d’un mois, l’offre qui lui avait été transmise, puisqu’elle avait contesté devoir les honoraires d’agence que cette offre mettait à la charge de l’acquéreur et du fait de cette contestation, la vente n’avait pas été réalisée dans le délai légal ; que dès lors, à supposer même fondée la contestation de la société locataire, le défaut d’acceptation pure et simple de l’offre qui lui avait été faite, dans les délais légaux qui lui étaient impartis, faisait de toutes façon obstacle à la vente ; qu’en prescrivant néanmoins, dans ces conditions, la réalisation de la vente litigieuse au profit de la société « Librairie B », la cour d’appel avait de nouveau violé l’article L. 145-46-1 du code de commerce.
Mais la Cour de cassation valide l’arrêt d’appel et rejette les prétentions du candidat acquéreur.
Selon la Haute juridiction, « ayant retenu à bon droit qu’en application de l’alinéa 1er de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation et ayant relevé que le preneur avait fait connaître au bailleur son acceptation d’acquérir au seul prix de vente, la cour d’appel en a exactement déduit que la vente était parfaite ».
Deux éléments importants ressortent de cet attendu de principe :
- La Cour de cassation précise pour la première fois que l’article L.145-46-1 du code de commerce est une disposition d’ordre public. Elle confirme en cela l’avis de la doctrine majoritaire sur ce point. Elle ne précise pas, toutefois, s’il s’agit d’une disposition d’ordre public de protection ou de direction, ce qui aurait permis d’éclairer la question des conditions de renonciation possible à ce droit de préemption.
- La Cour de cassation précise en outre, là aussi pour la première fois à notre connaissance, que la notification préalablement au locataire faite par le propriétaire bailleur qui envisage de vendre son local commercial « ne peut inclure des honoraires de négociation ».
Cass. 3e civ. 28 juin 2018, n° 17-14605