Lorsque les titres d’une société sont démembrés (l’usufruit appartenant à une personne et la nue-propriété à une autre), il est admis que les dividendes prélevés sur le résultat de la société reviennent au seul usufruitier. En revanche, le point de savoir qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire a vocation à recevoir les sommes prélevées sur les réserves, a longtemps fait débat.
Avant que la jurisprudence ne s’empare du sujet, trois solutions étaient avancées par la pratique :
- la première considérait que tout dividende constitue un « fruit », sans distinction d’origine (résultat de l’exercice, report à nouveau, réserves…), revenant en totalité à l’usufruitier ;
- la deuxième estimait au contraire, qu’une fois affectés en réserves, les résultats devenaient un « actif » de la société, et qu’à ce titre seul le nu-propriétaire pouvait appréhender un dividende issu de réserves ;
- la dernière consistait enfin à reporter le démembrement de propriété sur ces dividendes. Et, s’agissant d’un démembrement de sommes d’argent, l’usufruitier pouvait, à titre de quasi-usufruit, appréhender la totalité des fonds, le nu-propriétaire disposant d’une créance dite « de restitution » contre l’usufruitier ou ses héritiers.
Ce que la Cour de cassation a décidé
Très attendue par la pratique, la jurisprudence de la Cour de cassation avait (par deux arrêts rendus par la chambre commerciale les 27 mai 2015 et 24 mai 2016), tranché en faveur de la dernière solution : le démembrement est reporté sur les dividendes issus de réserves, mais l’usufruitier peut appréhender l’intégralité des fonds au titre d’un quasi-usufruit, à charge d’en restituer le montant au nu-propriétaire. L’arrêt de 2015 précisait en outre que cette solution devait s’appliquer « à défaut de convention contraire entre usufruitier et nu-propriétaire » (sans pour autant définir l’étendue ni la forme de cette possible dérogation).
Cette jurisprudence annonçait la fin d’une longue période d’insécurité… jusqu’à ce qu’un nouvel arrêt (rendu par la 1ere chambre civile, le 22 juin 2016) ne sème à nouveau la confusion.
Rédigé dans des termes ambigus, cet arrêt, abondamment commenté par la pratique, semble affirmer que les dividendes issus de réserves ne reviennent qu’au nu-propriétaire, sans possibilité pour l’usufruitier d’exercer son quasi-usufruit sur ces sommes.
Et maintenant ?
Comment interpréter ce dernier arrêt ? Le débat est relancé et, à nouveau, deux thèses s’affrontent : la première, littéraliste, soutient que les dividendes issus de réserves reviennent au seul nu-propriétaire, l’usufruitier n’y ayant aucun droit (même au titre d’un quasi-usufruit). L’usufruitier qui souhaite toucher un dividende doit donc s’opposer à la mise en réserve des résultats. La seconde thèse estime que l’ambiguïté de l’arrêt résulte d’une maladresse rédactionnelle : le démembrement est bel et bien reporté sur les dividendes et l’usufruitier peut exercer son quasi-usufruit.
Jusqu’à ce que la Cour de cassation adopte une position explicite et univoque, les défenseurs de la première thèse ne prendront aucun risque et s’en tiendront à l’arrêt de la chambre civile. Quant aux défenseurs de la seconde, ils appliqueront la solution dégagée par la chambre commerciale, et y dérogeront, éventuellement, par une « convention contraire » (en aménageant les statuts en conséquence).
Quand le droit rime avec herméneutique et pari pascalien…
Olivier Giacomini
Collaborateur au sein de l’office Monassier & Associés, Notaires à Paris,
Article paru dans Les Echos, le 16 décembre 2016
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