L’annulation par le juge administratif de tout ou partie d’un document d’urbanisme, notamment lorsqu’il s’agit du plan local d’urbanisme (PLU) d’une commune, ou plus encore du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) ou métropolitain (PLUM), pose des difficultés non seulement aux communes concernées, mais également aux titulaires ou futurs titulaires d’autorisations d’urbanisme.
Quelles sont les règles applicables sur un territoire dont le PLU /PLUI / PLUM a été entièrement ou partiellement annulé, à compter de cette annulation ?
Quel que soit le motif d’annulation, même pour un simple vice de forme ou de procédure facilement régularisable, la règle est codifiée à l’article L. 600-12 du Code de l’urbanisme :
« Sous réserve de l’application des articles L. 600-12-1 et L. 442-14, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur. »
Et si l’annulation du document d’urbanisme n’est que partielle ? Ce sont alors les dispositions du document immédiatement antérieur qui s’appliquent à la place des dispositions annulées, et qui vont se combiner avec celles du document d’urbanisme qui restent en vigueur. En cas d’incompatibilités entre elles, le Conseil d’Etat a indiqué que seules les dispositions compatibles du document antérieur s’appliquent (CE, 13 nov. 2002, n° 185637), à défaut il faut revenir au document encore antérieur.
Les conséquences d’une telle annulation peuvent donc être extrêmement lourdes pour la ou les Communes concernées. Mais qu’en est-il de celles impactant les pétitionnaires d’autorisations d’urbanisme ?
Quel est l’effet de cette annulation sur les permis de construire déjà délivrés ?
La question se pose notamment si les dispositions d’urbanisme antérieures de nouveau en application ne permettaient pas la délivrance du permis de construire obtenu avant l’annulation.
En principe, les autorisations d’urbanisme n’étant pas des mesures d’application d’un PLU, l’illégalité de ce PLU n ’entraine pas, par elle-même, celle du permis de construire ou d’aménager délivré lorsqu’il était en application. Il n’y a donc pas d’automaticité.
Deux cas de figure :
1- le permis a été délivré et est devenu définitif par suite de la purge des délais de recours et de retrait administratif.
L’autorisation d’urbanisme délivrée avant l’annulation du PLU et devenue définitive est créatrice de droit au profit de son pétitionnaire. Ne pouvant plus sortir de l’ordonnancement juridique, le permis ne peut plus être remis en cause, et peut donc être mis en œuvre sans difficulté.
Conseil du Notaire
Veiller
Veiller à bien purger son arrêté de permis après obtention afin de le rendre définitif.
Le délai de recours des tiers court à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 du Code de l’Urbanisme, en vertu des dispositions de l’article R. 600-2 du même code.
Parallèlement, l’expiration du délai de retrait administratif suppose l’écoulement du délai de trois mois suivant la date de la décision (date de l’arrêté de permis délivré), conformément aux dispositions de l’article L. 424-5 C. urb., et celui du délai de déféré préfectoral, l’écoulement d’un délai de deux mois à compter de la date de réception de la décision en préfecture.
Il est conseillé d’obtenir une attestation de la Mairie indiquant l’absence de recours gracieux ou contentieux, et l’absence de contestation (retrait ou déféré) de la Préfecture. |
2- le permis a été délivré mais n’est pas encore définitif, car la purge des délais de recours et de retrait administratif est en cours, ou qu’un recours a été exercé.
Pour assurer la sécurité juridique de l’opération, il faudra donc attendre la fin des délais de recours et de retrait pour que le permis devienne bien définitif, ou l’issue de la procédure de recours, afin qu’il ne puisse plus être contesté.
Les autorisations d’urbanisme devenues définitives peuvent-elles malgré tout être impactées, à titre résiduel, par cette annulation ?
Même si l’autorisation d’urbanisme elle-même ne peut plus être remise en cause car définitive, certaines difficultés peuvent se poser :
- au cas où une autorisation d’urbanisme modificative doive être obtenue : il ne pourra être obtenu un modificatif que si la règle d’urbanisme remise en vigueur du fait de l’annulation de tout ou partie du PLU, autorisait la délivrance de ce modificatif. En effet, l’autorisation doit être conforme aux dispositions en vigueur au jour de sa délivrance.
- au cas de destruction totale ou partielle de la construction autorisée par cette autorisation d’urbanisme, et si les dispositions du document d’urbanisme antérieur remises en vigueur ne permettent plus la délivrance d’une autorisation de reconstruire.
Cette nouvelle autorisation permettant la reconstruction à l’identique pourra néanmoins être délivrée à la double condition :
– que le document d’urbanisme remis en vigueur n’écarte pas, par une disposition expresse, le droit à reconstruire à l’identique visé par l’article L. 111-15 du Code de l’urbanisme ;
– et que le bâtiment ait été régulièrement construit, en conformité avec le permis déjà obtenu, non annulé par le juge et non retiré par l’autorité administrative (CE, 5 mars 2003, Req. n° 252422).
- au cas où des tiers prouvent subir un préjudice du fait de la méconnaissance d’une règle d’urbanisme : comme le permis aura acquis un caractère définitif, seule une action en dommage et intérêt pour réparation (et non en démolition) pourrait aboutir, si le préjudice est directement lié à la méconnaissance de cette règle.
Quel est l’effet de cette annulation sur les permis de construire futurs, non encore délivrés dans le cadre d’un lotissement soumis à permis d’aménager ?
Il s’agit d’un cas particulier pouvant se poser : un lotissement a été autorisé par permis d’aménager devenu définitif, permis mis en œuvre avec des travaux de viabilisation exécutés et une déclaration d’achèvement desdits travaux déposée en mairie par exemple. Intervient alors l’annulation du PLU ou PLUI ou PLUM ayant permis la délivrance de ce permis d’aménager.
Ce dernier n’est donc pas remis en question, mais quid des permis de construire demandés par les acquéreurs des lots à bâtir depuis cette annulation, au cas où les dispositions du plan remis en vigueur actent l’inconstructibilité de la zone concernée ?
La loi vient répondre à cette question de la manière suivante, l’article L. 442-14 C. urb. prévoyant :
« Lorsque le lotissement a fait l’objet d’un permis d’aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d’aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l’achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat.
Toutefois, les dispositions résultant des modifications des documents du lotissement en application des articles L. 442-10, L. 442-11 et L. 442-13 sont opposables.
L’annulation, totale ou partielle, ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale pour un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au lotissement ne fait pas obstacle, pour l’application du présent article, au maintien de l’application des règles au vu desquelles le permis d’aménager a été accordé ou la décision de non-opposition a été prise ».
Des permis de construire sur les lots pourraient en conséquence être accordés, mais comment interpréter la notion de motif étranger aux règles d’urbanisme ?
Comment interpréter le « motif étranger » ?
C’est le Conseil d’Etat du 2 octobre 2020, n° 436934, qui nous donne les clés :
« …Il résulte de l’article L. 600-12-1 que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document local d’urbanisme n’entraine pas l’illégalité des autorisations d’urbanisme délivrées lorsque cette annulation ou déclaration d’illégalité repose sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet en cause.
Il appartient au juge, saisi d’un moyen tiré de l’illégalité du document local d’urbanisme à l’appui d’un recours contre une autorisation d’urbanisme :
- de vérifier d’abord si l’un au moins des motifs d’illégalité du document local d’urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l’autorisation d’urbanisme.
- un vice de légalité externe est étranger à ces règles, sauf s’il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet. En revanche, sauf s’il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet, un vice de légalité interne ne leur est pas étranger.
3. Lorsque le document local d’urbanisme sous l’empire duquel a été délivrée l’autorisation contestée est annulé ou déclaré illégal pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause, la détermination du document d’urbanisme au regard duquel doit être appréciée la légalité de cette autorisation obéit, eu égard aux effets de la règle posée à l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme, aux règles suivantes :
- dans le cas où ce ou ces motifs affectent la légalité de la totalité du document d’urbanisme, la légalité de l’autorisation contestée doit être appréciée au regard de l’ensemble du document immédiatement antérieur ainsi remis en vigueur ;
- lorsque ce ou ces motifs affectent seulement une partie divisible du territoire que couvre le document local d’urbanisme, ce sont les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique qui sont remises en vigueur ;
- si ce ou ces motifs n’affectent que certaines règles divisibles du document d’urbanisme, la légalité de l’autorisation contestée n’est appréciée au regard du document immédiatement antérieur que pour les seules règles équivalentes nécessaires pour assurer le caractère complet et cohérent du document. »
Bien entendu, si les permis de construire sont délivrés, il faudra veiller à ce qu’ils deviennent définitifs.
En cas de contestation du permis, c’est le motif de l’annulation du PLU qui serait alors considéré pour apprécier la légalité du permis de construire non définitif. Cette appréciation conditionnera la délivrance des permis sur les autres lots dans le cadre de la cristallisation de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme.
Attention :
Dans
Dans le cadre d’une procédure en annulation d’un arrêté de permis de construire, l’illégalité du document d’urbanisme, tel un PLU, est sans effet sur la validité de ce permis, si ce moyen n’a pas été expressément soulevé par le requérant (CE, 28 nov. 2014, n° 366103) :
« Il peut être utilement soutenu devant le juge qu’un permis de construire a été délivré sous l’empire d’un document d’urbanisme illégal, à la condition que le requérant fasse en outre valoir que ce permis méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur ; qu’aucun moyen de cette sorte n’a été invoqué devant la cour ; qu’ainsi, le moyen soulevé devant les juges du fond, tiré de l’illégalité du PLU d’Annecy, faute de justifier et de motiver l’extension limitée de l’urbanisation, était inopérant ». |
Sophie BRANGE
Notaire à Treillières