En matière de transmission de titres sociaux (par donation ou succession), nous avons en France un dispositif désormais bien connu, le dispositif Dutreil, qui permet d’appliquer, pour le calcul des droits de donation et de succession, un abattement de 75 % sur la valeur des titres transmis.
Ce dispositif très favorable à la transmission d’entreprises est soumis à des conditions strictes, et notamment à l’obligation de conserver les titres, de manière collective pendant au moins deux ans, puis après la transmission, par chacun des donataires ou héritiers pendant au moins quatre ans.
Cette obligation suppose de souscrire un engagement collectif de conservation, formalisé par un acte (notarié ou sous seing privé).
Toutefois, même si un tel acte d’engagement n’a pas été établi, le dispositif Dutreil peut malgré tout s’appliquer si, au jour de leur transmission, les titres sont détenus par le chef d’entreprise depuis au moins deux ans (on dit alors que l’engagement est « réputé acquis »).
Les textes régissant le dispositif Dutreil ne sont pas toujours très clairs, ce qui amène l’administration fiscale à en donner de nombreuses interprétations, souvent bienvenues, parfois restrictives.
On le sait, le dispositif Dutreil ne peut porter que sur des titres qui ont fait l’objet d’un engagement de conservation.
Néanmoins, sous certaines conditions, l’administration fiscale permet aux titres reçus par le chef d’entreprise, dans le cadre d’une augmentation de capital par incorporation de réserves, d’être soumis à l’engagement pris sur les anciens titres, bénéficiant ainsi de l’antériorité de cet engagement.
La solution est parfaitement logique : les bénéfices placés en réserve ont vocation à profiter à l’ensemble des associés, chacun à hauteur de ses droits sociaux. Sur le plan économique, l’incorporation des réserves au capital de la société n’a donc aucun impact sur la valeur de la participation qu’un associé a dans la société.
Prenons l’exemple d’un chef d’entreprise dont les 100 titres sont évalués à 4.000.000 euros (évaluation qui prend en compte les réserves accumulées par la société, lesquelles se montent à 1.000.000 euros). Il a souscrit un engagement de conservation sur ces 100 titres et souhaite aujourd’hui les transmettre à ses enfants. Pour le calcul des droits de donation, l’abattement Dutreil s’appliquera sur les 100 titres transmis, c’est-à-dire sur une valeur de 4.000.000 euros. Si, peu de temps avant la donation, la société décide d’augmenter son capital à hauteur de 1.000.000 euros par prélèvement sur les réserves, et que le chef d’entreprise reçoit en échange 50 nouveaux titres, la donation portera désormais sur 150 titres mais la valeur transmise restera exactement la même : 4.000.000 euros.
Jusqu’alors, la question se posait de savoir si cette règle était réservée aux seuls cas où l’engagement a été formalisé par un acte, ou si elle s’appliquait également aux engagements « réputés acquis ».
Par une réponse ministérielle en date du 2 août 2016, le ministre du Budget n’a hélas pas étendu cette possibilité aux engagements « réputés acquis », créant un nouveau déséquilibre entre les deux modes d’application du régime Dutreil.
Espérons que l’administration fiscale reviendra sur cette position injustifiable, allant à l’encontre du bon sens.
Arlette Darmon
Notaire à Paris et Olivier Giacomini, collaborateur de l’office Monassier & Associés
Article paru dans Les Echos, le 23 septembre 2016
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