Depuis la fin du XIXe siècle, le sort de l’entrepreneur individuel en cas de défaillance, qu’il soit commerçant, artisan, professionnel libéral, était simple et lié au principe de l’unicité du patrimoine. L’entrepreneur n’a qu’un patrimoine, personnel et professionnel. Il engage l’ensemble en cas de faillite, ce qui signifie que ses créanciers professionnels pourront saisir son patrimoine « personnel », notamment la résidence principale.
Renaud Dutreil, autour de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, avait tenté d’atténuer ces conséquences parfois désastreuses, dans le but de favoriser la reprise et la création d’entreprises, avec la création de la déclaration notariée d’insaisissabilité. La seule conséquence aura été la création, assez modeste au fond, de milliers d’entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée, SARL constituées d’un seul associé, soumises globalement aux mêmes règles qu’une SARL classique. Alors pourquoi chercher autre chose ? Pourquoi vouloir à tout prix créer un patrimoine d’affectation pour l’entrepreneur individuel, lui permettant de distinguer patrimoine professionnel, gage des créanciers, du patrimoine personnel, réservé aux créanciers privés ? Pourquoi, au fond, avoir créé après des mois de débats acharnés entre Bercy et la chancellerie (ce n’est pas nouveau !) un instrument sans doute trop complexe : l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (loi « Novelli » n° 2010-658 du 15 juin 2010) ? Le vice originel de ce texte est au fond qu’il a été écrit au départ en s’inspirant… de l’EURL. Les professionnels ne se saisissent pas de cet instrument. C’est un fait. C’est parfois un tort !
Comme tout entrepreneur individuel, l’EIRL, prend librement toutes les décisions relatives à la vie de son entreprise et n’a pas à consigner ses décisions ni à nommer de commissaire aux comptes. Si l’activité est limitée, opter pour l’EIRL n’empêche pas de bénéficier des avantages de l’autoentrepreneuriat. En matière fiscale, le statut EIRL permet de choisir son impôt. Si on opte pour l’impôt sur les sociétés (IS), le régime fiscal de l’EIRL est aligné sur celui de l’EURL. Ce choix est irréversible. Si on en reste à l’impôt sur le revenu (IR-BIC), la constitution de l’EIRL n’entraîne aucune conséquence fiscale et sociale.
Deux patrimoines, sauf…
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, innove en instaurant l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale. Juridiquement, cette disposition est une atteinte de plus à la vieille théorie de l’unicité du patrimoine. L’entrepreneur individuel dispose désormais de plein droit, du fait même de son immatriculation sur un registre professionnel, de deux patrimoines : sa résidence principale, s’il en est propriétaire, et le reste de son patrimoine… sauf s’il se place sous le régime de l’EIRL, puisqu’il crée alors volontairement un patrimoine affecté à l’exploitation.
Sauf encore s’il prend la précaution d’adopter un régime matrimonial séparatiste (séparation de biens, participation aux acquêts). Changer de régime matrimonial n’est pas insurmontable !
Sauf enfin, si, cerise sur le gâteau, il fait une déclaration notariée d’insaisissabilité sur son ou ses immeubles autres que la résidence principale et hors immobilier d’exploitation.
Encore faut-il qu’il le décide, et franchisse pour ce faire la porte… d’un notaire !
Frédéric Roussel
Notaire associé à l’office notarial de Lille, membre du Groupe Monassier
Article paru dans les Echos, le 29 janvier 2016
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