3 questions à un notaire du Groupe Monassier
Ce mois-ci Xavier Fromentin, Notaire à Treillières
Comment est réparti le droit de vote en cas de démembrement de droits sociaux ?
La loi organise la répartition du droit de vote entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Dans les SA et les SCA, il est ainsi prévu que le droit de vote appartient à l’usufruitier pour les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire pour les assemblées générales extraordinaires (C. com., art. L. 225-110).
Dans les autres sociétés (société civile, SNC, SCS, SARL ou encore SAS), le droit de vote appartient normalement au nu-propriétaire, excepté pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices pour lesquelles le droit de vote est réservé à l’usufruitier (C. civ., art. 1844, al. 3).
Ces règles n’étant pas d’ordre public, il est toutefois possible de prévoir dans les statuts une répartition du droit de vote différente, adaptée à chaque situation particulière.
Si les associés disposent d’une grande latitude pour aménager le droit de vote en cas de démembrement de droits sociaux, certaines limites existent.
Ainsi, s’il est désormais possible de priver le nu-propriétaire de tout droit de vote, il n’en a pas toujours été ainsi, et la jurisprudence pourrait de nouveau s’opposer à cette privation. En tout état de cause, le nu-propriétaire ne saurait être privé de son droit de participer aux assemblées. Même s’il ne prend pas part au vote, le nu-propriétaire doit donc être convoqué à l’assemblée générale et recevoir l’information préalable, et doit également pouvoir y exprimer un avis consultatif.
L’usufruitier, quant à lui, ne peut être privé du droit de vote concernant l’affectation des bénéfices.
Par ailleurs, des exigences fiscales peuvent venir contraindre cette liberté contractuelle. En effet, pour les donations avec réserve d’usufruit, l’article 787 B du CGI soumet l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices.
Qui a droit aux dividendes ?
Le droit de l’usufruitier porte en principe sur les bénéfices afférents aux droits sociaux qu’il détient, que ces bénéfices proviennent du résultat courant, financier, ou exceptionnel. Mais attention, la notion de bénéfice s’entend uniquement du bénéfice distribué, et non simplement du bénéfice distribuable.
La question de savoir à qui doit revenir la distribution de dividendes prélevés sur les réserves est plus complexe et suscite encore des débats, d’autant plus que de récentes décisions de la Cour de cassation peuvent paraître à première vue contradictoires.
La Chambre commerciale, dans un arrêt rendu le 27 mai 2015, a en effet considéré que « dans le cas où la collectivité des associés décide de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier de droits sociaux s’exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d’un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d’usufruit, de sorte que l’usufruitier se trouve tenu, en application du premier des textes susvisés, d’une dette de restitution exigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successoral lorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier » (Cass. Com., 27 mai 2015, n°14-16246).
La Première Chambre civile, quant à elle, a simplement énoncé dans un arrêt du 22 juin 2016 que « si l’usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n’a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l’accroissement de l’actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire » (Cass. Civ. 1ère, 22 juin 2016, n°15-19471 et 15-19516).
La Première Chambre civile n’évoquant à aucun moment dans sa décision, le report de l’usufruit sur les sommes distribuées, le débat sur les droits respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier en cas de distribution de réserves a été relancé.
Dans l’attente d’une nouvelle décision qui permettrait de lever toute ambiguïté, il semble donc opportun de prévoir statutairement le sort des réserves distribuées en cas de démembrement de droits sociaux.
Quels impacts en matière de fiscalité ?
En matière d’impôt sur le revenu, la situation diffère selon que la société dont les titres sont démembrés relève de l’impôt sur les sociétés ou du régime des sociétés de personnes.
Dans le premier cas, on ne rencontre aucune difficulté particulière. Les associés n’étant imposables que si les bénéfices sont distribués, l’usufruitier sera alors imposé au titre des revenus mobiliers qu’il perçoit.
Lorsque la société relève du régime des sociétés de personnes, la situation est plus complexe. En effet, les bénéfices réalisés par une telle société sont imposables entre les mains des associés, au prorata de leurs droits, même lorsque ces bénéfices ne sont pas distribués.
En cas de démembrement, la répartition de la charge fiscale est alors fixée par l’article 8 du CGI. Ainsi que l’indique l’administration fiscale, l’usufruitier est alors, en pratique, imposable à hauteur des bénéfices courants de l’exploitation et le nu-propriétaire à hauteur des profits exceptionnels.
Toutefois, il est possible de convenir d’une répartition différente. L’administration fiscale et la jurisprudence admettent, en effet, que l’usufruitier et le nu-propriétaire puissent décider d’une répartition conventionnelle des résultats sociaux. Pour être opposable au fisc, cette convention doit avoir été conclue ou insérée dans les statuts avant la clôture de l’exercice aux termes d’un acte régulièrement enregistré, ayant date certaine. Elle doit également être conforme aux dispositions du Code civil et notamment à ses dispositions relatives aux droits de l’usufruitier. Mais l’administration se réserve le droit d’invoquer la procédure d’abus de droit, ou de tirer éventuellement les conséquences d’une telle convention en matière de droits de mutation à titre gratuit.
En matière de plus-value de cession, lorsqu’elles sont réalisées par des personnes physiques agissant dans le cadre de leur patrimoine privé, elles relèvent du régime prévu aux articles 150-0 A et suivants du CGI, exception faite pour les titres de société à prépondérance immobilière. En présence d’un démembrement, les règles de détermination de la plus-value et de la personne imposable ont été précisées par l’administration fiscale au BOFIP. Ces règles diffèrent notamment selon que la cession conjointe des droits démembrés est faite avec ou sans répartition du prix de vente, et dans cette dernière hypothèse, selon que le prix de cession est remployé avec report du démembrement ou que le prix de cession est attribué à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit.
Compte-tenu de la complexité de ces règles, il est préférable de s’entourer des conseils d’un expert.
En matière d’ISF, les droits sociaux grevés d’un usufruit sont en principe compris dans le patrimoine taxable à l’ISF du seul usufruitier, pour leur valeur en pleine propriété, et sans qu’il soit possible pour ce dernier d’appliquer un abattement au titre du démembrement de propriété.
Ce principe de taxation du seul usufruitier comporte toutefois des exceptions limitativement énumérées par la loi (CGI, art. 885 G), conduisant à une imposition séparée de l’usufruitier et du nu-propriétaire au titre de l’ISF.