Nouveau régime de déchéance matrimoniale, sort des avantages matrimoniaux en cas de divorce et décharge de responsabilité en matière fiscale : la loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille est entrée en vigueur le 2 juin 2024.
La loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille a été publiée au Journal officiel du 1er juin 2024. Elle est entrée en vigueur le 2 juin 2024. Décryptage article par article.
Déchéance matrimoniale
L’article 1er de la loi du 31 mai 2024 crée un régime autonome de déchéance matrimoniale, inspiré de celui de l’indignité successorale (articles 726 et suivants du Code civil).
Pour mémoire, l’indignité successorale ne s’applique pas aux avantages matrimoniaux.
Antérieurement à la loi du 31 mai 2024, une personne condamnée pour le meurtre de son conjoint pouvait conserver le bénéfice des avantages matrimoniaux tirés de son contrat de mariage. Selon le rapport de la commission mixte paritaire, l’article 1er vise à remédier à cette « absurdité ».
Ce nouveau régime de déchéance matrimoniale est codifié aux articles 1399-1 à 1399-5 du Code civil, que nous exposerons ci-après. Notons que la faculté de pardon laissée à l’époux victime, qui figurait dans la proposition de loi initiale, a été supprimée lors de son examen au Sénat, dans l’objectif de « mieux prendre en compte les cas d’emprise ».
Ces dispositions s’appliquent aux conventions matrimoniales conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi.
Les cas de déchéance matrimoniale
A l’instar du régime de l’indignité successorale, la loi du 31 mai 2024 prévoit des cas de déchéance matrimoniale de plein droit et des cas de déchéance facultative.
La déchéance de plein droit
Le nouvel article 1399-1 du Code civil prévoit les cas de déchéance matrimoniale de plein droit :
« L’époux condamné, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son époux ou pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort de son époux sans intention de la donner est, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, déchu de plein droit du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage.
La déchéance mentionnée au premier alinéa s’applique y compris lorsque, en raison du décès de l’époux qui a commis les actes mentionnés au même premier alinéa, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. »
La déchéance facultative
Le nouvel article 1399-2 du Code civil prévoit des cas de déchéance facultative :
« Dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, peut être déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage l’époux condamné :
1° Comme auteur ou complice de tortures, d’actes de barbarie, de violences volontaires, de viol ou d’agression sexuelle envers son époux ;
2° Pour témoignage mensonger porté contre son époux dans une procédure criminelle ;
3° Pour s’être volontairement abstenu d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle de son époux d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
4° Pour dénonciation calomnieuse contre son époux lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue. »
L’article 1399-3 du Code civil en précise la procédure :
« La déchéance prévue à l’article 1399-2 est prononcée par le tribunal judiciaire à la demande d’un héritier, de l’époux de la personne condamnée ou du ministère public. La demande doit être formée dans un délai de six mois à compter de la dissolution du régime matrimonial ou du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité lui est antérieure, ou dans un délai de six mois à compter de cette décision si elle lui est postérieure. »
Les effets de la déchéance matrimoniale
Les effets de la déchéance sont identiques qu’il s’agisse d’une déchéance de plein droit ou d’une déchéance facultative.
Objet de la déchéance : les avantages matrimoniaux
La déchéance a pour effet de priver l’époux condamné du bénéfice des avantages matrimoniaux, lesquels sont définis comme les « clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage ».
Restitution des fruits et revenus
Le nouvel article 1399-4 dispose :
« L’époux déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale est tenu de rendre tous les fruits et revenus résultant de l’application des clauses de la convention matrimoniale qui lui confèrent un avantage et dont il a eu la jouissance depuis la dissolution du régime matrimonial. »
Droit à récompense en cas d’apport à la communauté de biens propres
Le nouvel article 1399-5 du Code civil instaure un droit à récompense visant à préserver les biens propres apportés à la communauté par l’époux victime :
« Dans les cas prévus aux articles 1399-1 et 1399-2, lorsqu’une clause de la convention matrimoniale prévoit l’apport à la communauté de biens propres de l’époux de la personne condamnée, la communauté doit récompense à l’époux apporteur. »
Inventaire au décès de l’un des époux
L’article 2 de la loi du 31 mai 2024 prévoit expressément la possibilité d’établir un inventaire au décès de l’un des époux. Il insère dans le Code civil un nouvel article 1399-6, qui dispose :
« Un inventaire peut être établi au décès de l’un des époux, dans les conditions prévues par le code de procédure civile. »
Selon les travaux parlementaires : « Cette faculté doit pouvoir être actionnée même en cas de clause d’attribution intégrale au dernier vivant, laquelle n’ouvre pas la succession du conjoint décédé, pour qu’un état des lieux du patrimoine du conjoint décédé soit établi. »
Sort des avantages matrimoniaux en cas de divorce
L’article 3 de la loi du 31 mai 2024 complète le deuxième alinéa de l’article 265 du Code civil.
L’alinéa 2 de l’article 265 du Code civil dispose désormais :
« Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l’union, sauf volonté contraire de l’époux qui les a consentis. Cette volonté est exprimée dans la convention matrimoniale ou constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l’avantage ou la disposition maintenus. »
En d’autres termes, cet article offre aux époux la possibilité de prévoir, dans leur contrat de mariage (ou à l’occasion d’un changement de régime matrimonial), qu’ils souhaitent maintenir, en cas de divorce, les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial (par exemple la clause d’exclusion des biens professionnels sous le régime de la participation aux acquêts).
Cette nouvelle disposition vient renforcer le principe de liberté des conventions matrimoniales, et donc le devoir de conseil du notaire en la matière.
Décharge de responsabilité en matière fiscale
Pour mémoire, la proposition de loi prévoyait initialement de modifier le dispositif de décharge de responsabilité solidaire pour permettre d’exonérer un ex-conjoint d’une partie des dettes fiscales dues par le couple au titre d’une imposition commune passée.
Les travaux parlementaires, en lien avec le ministère des comptes publics, ont finalement abouti à créer un dispositif de remise gracieuse. La loi du 31 mai 2024 modifie en conséquence les articles L247 du Livre des procédures fiscales et 1691 bis du CGI.
La demande de remise gracieuse
L’article 4 de la loi du 31 mai 2024 dispose :
« I.-Le septième alinéa de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales est complété par une phrase ainsi rédigée : « Peut être considérée comme une personne tenue au paiement d’impositions dues par un tiers la personne remplissant les conditions fixées aux 1 et 3 du II de l’article 1691 bis du même code. »
II.-Le I s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée au II de l’article 1691 bis du code général des impôts n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée. »
La nouvelle rédaction de l’article L.247 du Livre des procédures fiscales permet ainsi à un ex-conjoint d’être considéré comme un tiers à la dette fiscale due au titre d’une imposition commune passée.
La remise gracieuse est exclue lorsque l’ex-conjoint a participé à la fraude à l’origine de la dette fiscale (renvoi au 3 du II de l’article 1691 bis du CGI).
En revanche, il n’est pas nécessaire que le demandeur rapporte la preuve d’une disproportion entre le montant de la dette fiscale et sa situation financière et patrimoniale (absence de renvoi au 2 du II de l’article 1691 bis du CGI).
Les effets de la décharge de responsabilité
Calcul des intérêts de retard et pénalités
L’article 5 de la loi du 31 mai 2024 clarifie le calcul des intérêts et pénalités de retard :
« I.-La seconde phrase du d du 2 du II de l’article 1691 bis du code général des impôts est ainsi rédigée : « La décharge de l’obligation de paiement des intérêts de retard et des pénalités mentionnées aux mêmes articles 1727,1728,1729,1732 et 1758 A est prononcée, dans les autres situations, dans les proportions définies aux a, b ou c du présent 2. »
II.-La perte de recettes résultant pour l’Etat du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. »
Restitution des sommes déjà payées
L’article 6 de la loi du 31 mai 2024 modifie le IV de l’article 1691 du CGI pour permettre la restitution des sommes déjà payées préalablement à l’octroi de la remise gracieuse :
« I.-Le IV de l’article 1691 bis du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le mot : « ne » est supprimé ;
2° Sont ajoutés les mots : « des sommes recouvrées à compter de l’un des événements mentionnés aux a à d du 1 du II ».
II.-La perte de recettes résultant pour l’Etat du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III.-Le I s’applique aux personnes pour lesquelles la demande de décharge de l’obligation de paiement mentionnée au II de l’article 1691 bis du code général des impôts n’a donné lieu, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ni à une décision définitive de la part de l’administration fiscale, ni à une décision de justice passée en force de chose jugée.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat. »