Force est de constater que, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, le droit de préférence du locataire commercial est source de nombreuses incertitudes en pratique pour les professionnels de l’immobilier.
Laissant la doctrine largement commenter voire s’opposer sur son régime et ses conditions d’application, il aura fallu attendre quatre « longues » années pour que la Cour de cassation se prononce sur le régime de l’article L 145-46-1 du Code de commerce. A noter, malgré tout, un arrêt de la 3e Chambre Civile du 17 mai 2018 qui s’était prononcé sur l’inapplicabilité du droit de préférence du locataire commercial lors de la cession globale de l’immeuble aux enchères.
En effet, aux termes d’un arrêt du 28 juin 2018 , destiné à une large diffusion et publication, l’attendu de la 3e Chambre Civile de la Cour de cassation sonne le glas à l’encontre de toute liberté contractuelle qui aurait pu naître de l’interprétation de cet article.
La Cour de cassation précise pour la première fois que l’alinéa 1er l’article L.145-46-1 du Code de commerce est une disposition d’ordre public.
Pour rappel, cet alinéa dispose que « Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d’acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois (…) »
En outre, la Cour de cassation précise, là aussi pour la première fois à notre connaissance, que la notification préalablement faite au locataire par le propriétaire bailleur qui envisage de vendre son local commercial « ne peut inclure des honoraires de négociation ».
La confirmation du caractère d’ordre public du droit de préférence du locataire commerçant
Contexte
L’affirmation prétorienne du caractère d’ordre public du droit de préférence du locataire commercial vient rejoindre ce que la doctrine majoritaire a pu jusqu’alors soutenir, en dépit de la lettre du texte.
Effectivement, la liste des dispositions du statut des baux commerciaux qui sont d’ordre public, et dont les stipulations contraires sont réputées non écrites, telle qu’elle résulte de l’article L. 145-15 du Code de commerce, ne fait nullement référence à l’article L 145-46-1 du Code de Commerce.
Ainsi, une majorité d’auteurs s’est appuyée jusqu’alors, à la fois sur l’objectif de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 qui était de rééquilibrer les rapports locatifs inhérents aux baux commerciaux, et à la fois sur le fondement même de tout droit de préemption légal pour affirmer le caractère d’ordre public de ce droit de préférence. Ainsi que l’a développé Madame le Professeur C. Saint-Alary-Houin : « Il est logique que tous les droits de préemption soient d’ordre public, si l’on pouvait y déroger par contrat, ils seraient inefficaces et la finalité d’intérêt général qu’ils poursuivent ne serait pas atteinte. Les droits de préemption s’insèrent dans le cadre d’une législation d’intérêt général dont le but est de réaliser une politique économique d’ensemble. À ce titre, ils relèvent de l’ordre public économique. (…) Les droits de préemption appartiennent donc à l’ordre économique et on ne voit pas comment il pourrait en être autrement, étant donné l’atteinte apportée au droit de propriété (…). »
Ceci étant, pour une doctrine minoritaire, le droit de préemption du locataire commerçant ne serait que supplétif de volonté puisque non visé à l’article L 145- 15 du Code de commerce. C’est le cas de Monsieur A. Jacquin pour lequel « le droit de préférence légal du preneur ne serait pas d’ordre public et les parties pourraient librement y déroger par une clause de bail qui, à n’en pas douter, deviendrait usuelle voire automatique. »
Face à cette incertitude, la Cour de cassation a étendu le champ d’application des dispositions d’ordre public en faisant application de la notion d’ordre public virtuel.
Portée du caractère d’ordre public
Dorénavant, les bailleurs de locaux commerciaux qui envisagent de vendre des locaux loués seraient donc systématiquement tenus de purger le droit de préférence de leur locataire, et les rédacteurs de baux ne pourraient plus y déroger. En effet, en pratique, les professionnels peuvent se trouver confrontés à un contrat de bail commercial comportant une renonciation anticipée du preneur à se prévaloir des dispositions de l’article L 145-46-1 du Code de commerce.
Cet arrêt ne vient que partiellement résoudre la question de la renonciation anticipée au droit de préférence du locataire commercial.
Dans la mesure où la Cour de cassation a affirmé que ce droit est d’ordre public, écartant de ce fait la théorie affirmant son caractère supplétif, il est donc exclu qu’une clause écartant le droit de préférence du locataire soit insérée dans les baux commerciaux.
Par analogie avec les dispositions d’ordre public applicables au statut des baux commerciaux (l’article L. 145-15 du Code de commerce), il est alors loisible, en l’absence de précisions de la Cour de cassation, de considérer que ces clauses soient dorénavant réputées non-écrites. Alors qu’une action en nullité serait ainsi soumise au régime de la prescription biennale établie par l’article L. 145-60 du Code de commerce à compter de la signature du bail ou de l’avenant ultérieur, l’action visant à voir réputée non écrite une clause contractuelle est imprescriptible.
Par extension, il convient de s’interroger sur les conséquences de cette jurisprudence applicables aux ventes de locaux commerciaux passées en contravention du droit de préférence du locataire commercial, en raison d’une clause l’excluant expressément ? L’on peut supposer, par application de l’article 2224 du Code Civil, que la nullité de la vente pourrait être invoquée dans les cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Toutefois, à ce jour, le législateur n’a envisagé la nullité de la vente que si la notification omet d’indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Quant à la Cour Suprême, elle ne s’est malheureusement pas prononcée sur ce point.
La situation est encore moins claire s’agissant de la renonciation anticipée à ce droit par le preneur, antérieure à la notification ou, à plus forte raison, en l’absence de toute notification.
En cela, ni le législateur, ni la jurisprudence ne se sont prononcés sur la nature de l’ordre public applicable à l’alinéa 1er de l’article L 145-46-1 du Code de commerce. S’agirait-il d’un ordre public de direction ou de protection, « ordre public intangible et ordre public susceptible de renonciation » ?
Si l’on admet que ce droit relève de l’ordre public de direction, il ne serait pas possible de renoncer à ce droit. La seule option pour le preneur reste alors d’accepter ou de renoncer à l’offre qui lui est faite dans la notification. Monsieur le Professeur J. Monéger assimile le recours à la sanction de la clause réputée non écrite à un glissement du statut des baux commerciaux vers un ordre public de direction.
Au contraire, si l’on admet que ce droit relève de l’ordre public de protection, il semble alors aisé de considérer qu’une renonciation au bénéfice de ce droit de préférence par le preneur est envisageable. De manière quasi-unanime, il est reconnu que la renonciation à un droit d’ordre public de protection est valable lorsqu’elle est éclairée, consentie sans fraude et porte sur un droit acquis, car acquis ce droit devient disponible.
Toutefois, la question essentielle réside dans la date d’acquisition de ce droit.
S’il semble acquis qu’une renonciation aux termes des clauses du bail commercial soit prohibée voire réputée non écrite, selon E. Chavance « dans la mesure où l’on admet la renonciation au bénéfice de la totalité du statut des baux commerciaux au lendemain de la conclusion du bail, il est parfaitement possible de renoncer à une partie de ce statut seulement à cette même date. » Si l’on suit ce raisonnement, une renonciation dès le lendemain de la signature du bail pourrait être opérante.
Au contraire, une partie majoritaire de la doctrine , ainsi que le Cridon de Paris, estiment qu’une « une renonciation à ce droit de préférence d’ordre public ne serait valable qu’une fois ce droit né et acquis, à savoir au moment où le propriétaire envisage la vente de ce local, et non ab initio lors de la conclusion du bail ». En cela, la renonciation au droit de préférence et la renonciation à l’offre produiraient les mêmes effets, privant de tout intérêt la distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection.
Cette dernière solution se rapprocherait ainsi des solutions retenues par la jurisprudence en matière de droit de préemption du locataire d’habitation et de congé pour vente. En effet, en la matière, il ressort de la jurisprudence que la renonciation par le locataire à son droit de préemption ne peut intervenir avant la naissance de ce droit, lequel ne naît qu’après délivrance du congé imposé par l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989. Comme nous l’évoquerons ultérieurement, il semblerait que le régime applicable au droit de préférence du locataire commercial tende à se rapprocher de celui applicable au droit de préemption du locataire issu de la loi du 6 juillet 1989…
Précisions complémentaires sur la mise en œuvre de la notification au locataire commercial
Rappel de la chronologie de la notification
Le deuxième apport de cette jurisprudence, et non des moindres en pratique, est l’obligation faite au bailleur de notifier préalablement au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation dès lors qu’il envisage de vendre son local commercial.
A titre liminaire, la Cour procède à un rappel, qui ne semble pas vain, sur la chronologie de notification du droit de préférence du locataire commercial de l’article L 145-46-1 du Code de Commerce. Dès que le propriétaire a l’intention de vendre, il lui faut notifier une offre au locataire préalablement à toute recherche d’un acquéreur. Et, ultérieurement dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, il doit procéder au profit du locataire à une notification subsidiaire.
Même si en pratique, la notification n’est réalisée que postérieurement à la régularisation de l’avant-contrat, il convient de rappeler que « le locataire bénéficie d’un droit d’acquisition prioritaire et non d’un droit de substitution ». Rappelons également que le législateur vise un droit de préférence, et non un droit de préemption …. Et que cette volonté existait dès les travaux préparatoires « Le locataire devra être informé en priorité des conditions de la vente, à peine de nullité de cette dernière. En cas d’acceptation de l’offre dans le délai d’un mois, le locataire disposera alors d’un nouveau délai de deux mois pour réaliser la vente. L’information obligatoire du locataire doit également intervenir si le propriétaire décide de vendre à des conditions plus avantageuses ».
Toutefois, quelles seraient en pratique les conséquences de la signature d’un avant-contrat de vente avec un tiers avant qu’ait été notifiée l’offre de vente permettant au locataire d’exercer son droit de préférence ? Même si la Cour de cassation avait prononcé la nullité d’une promesse synallagmatique de vente conclue avant la notification d’une offre de vente au locataire titulaire d’un droit de préemption, en l’occurrence un droit de préemption subsidiaire, rien à ce jour n’empêcherait la conclusion d’un avant-contrat sous la condition suspensive de la non-préemption du locataire. La seule exigence à ce jour résulte de l’article 1304-1 du Code civil qui énonce que « La condition doit être licite. À défaut, l’obligation est nulle. »
Le sort de la commission d’agence
La Cour de cassation se positionne, ensuite, sur le sort de la commission d’agence dans la notification transmise au locataire commercial. Ce positionnement jurisprudentiel n’est en rien surprenant puisque l’esprit de l’article L 145-46-1 du Code de commerce fut, dès les travaux parlementaires, de transposer aux locataires commerçants le droit de préférence prévu aux bénéfices des locataires d’habitation.
Cette précision n’en demeure pas moins nécessaire notamment à la lecture de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce qui énonce seulement que la notification doit indiquer le prix et « les conditions de la vente envisagée », à défaut de nullité ; d’où une certaine opacité sur la charge de la commission d’agence.
La Cour se prononce ainsi dans la continuité de son raisonnement relatif à la notification préalable : le droit de préférence du locataire commercial n’est pas un droit subsidiaire mais un droit prioritaire qui exclut en principe l’intervention d’un intermédiaire à l’effet de mettre les parties en relation et de négocier les ventes. Et cela contrairement aux droits de préemption urbain ou de la SAFER qui opèrent une substitution du préempteur à l’acquéreur initial, et pour lesquels la jurisprudence a jugé que l’exercice de leur droit de préemption n’était pas contraire au versement d’une commission d’agence (même à la charge de l’acquéreur).
La Cour de cassation s’aligne ainsi sur sa jurisprudence édictée en matière de droit de préemption du locataire d’un bien d’habitation en cas de congé pour vente. Par un arrêt du 3 juillet 2013 , elle a en effet refusé clairement un droit à commission à l’agent immobilier qui se borne à faire une offre au locataire : cette offre ne peut alors être assimilée à la présentation de l’acquéreur qui seule ouvre le droit à paiement d’une commission au regard de la loi du 2 janvier 1970 (« le locataire titulaire d’un droit de préemption acceptant l’offre de vente du bien qu’il habite qui n’a pas à être présenté par l’agent immobilier, mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d’une commission renchérissant le prix du bien. »).
Dès lors, en corollaire du droit de préemption du locataire d’un bien d’habitation, la pratique va-t-elle également se développer massivement autour d’une commission d’agence à la charge du vendeur, donc directement incluse dans le prix ?
Dans la mesure où la Cour de cassation refuse le paiement de la commission par le locataire-acquéreur si cet honoraire vient s’ajouter au prix de vente qui lui est proposé, c’est-à-dire si les honoraires sont payables en sus du prix , certains auteurs estiment que si, dès la signature de l’avant-contrat, la commission est intégrée au prix de vente, et n’est alors plus à la charge de l’acquéreur mais du vendeur, il n’existe plus de risque que le mandataire se voit refuser le règlement de ces honoraires, quand bien même le locataire acquiert le bien en exerçant son droit de préemption . Sur ce point, B. Vial-Pedroletti, propose même, plutôt que mentionner un prix « honoraires de négociation inclus » ou « commission d’agence incluse », d’indiquer le prix de vente sans aucune référence à une quelconque commission d’agence, néanmoins incluse dans le prix et mise à la charge du vendeur par le mandat.
En effet, dans un arrêt du 11 décembre 2013 , le Cour de cassation a confirmé la décision d’une Cour d’appel qui avait validé l’offre de vente (art. 10, L. 31 décembre 1975) et le congé (art. 15-II, L. 6 juillet 1989) délivrés aux locataires, après avoir « souverainement » retenu que rien ne permettait d’établir que le prix de vente proposé avait été majoré du montant de la rémunération du mandataire. Il est intéressant de noter que dans cet arrêt, les demandeurs estimaient que l’imputation sur le prix de vente de la commission d‘agence, même mise à la charge du vendeur, entraînait nécessairement une majoration indirecte du prix, et devait donc emporter nullité de l’offre. La Cour d’appel, suivi de la Cour de cassation, n’ont cependant pas retenu ce moyen.
Il convient cependant de rester prudent en la matière, le plus sage étant de respecter la chronologie des notifications prévue aux termes de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, afin d’éviter ces atermoiements autour du paiement la commission d’agence.
Enfin, concernant la taxe foncière, un abattement de 30 % peut être appliqué, sur délibération des collectivités locales et EPCI à fiscalité propre, en matière de taxe foncière sur la propriété bâtie . C’est le preneur du BRS qui est désigné redevable légal de la taxe foncière sur la propriété bâtie, à l’instar du preneur à bail à construction.
Cécile Boijard-Lafont, consultante au Centre d’Etudes et de Recherche du Groupe Monassier