Le bail réel solidaire (BRS) est un outil récemment créé pour compléter les dispositifs existants d’aide à l’accession à la propriété au profit des ménages modestes et maîtriser, sur la durée, la valeur de ces logements afin de conserver l’accès au crédit des familles modestes.
Le bail réel solidaire : un nouvel outil
Le bail réel solidaire (BRS) est un outil récemment créé[1] pour compléter les dispositifs existants d’aide à l’accession à la propriété au profit des ménages modestes (bail emphytéotique, bail à construction, location-accession, usufruit social, bail réel immobilier…). Outre la volonté persistante de faciliter l’acquisition de leur logement par tous les ménages quels que soient leurs revenus, le BRS vise également à maîtriser, sur la durée, la valeur de ces logements afin de conserver l’accès au crédit des familles modestes et de maintenir l’accessibilité à la propriété au plus grand nombre, même en cas de revente. En effet, outre l’augmentation constante du prix du foncier rendant de plus en plus chère l’acquisition immobilière, il s’est avéré que, malgré l’insertion de clauses anti-spéculatives, les logements acquis par les moyens « classiques » d’accession aidée se retrouvaient sur le marché libre dès la première revente, induisant une augmentation des prix à chaque transfert de propriété. De plus, la plus-value réalisée lors de ces reventes profitant au vendeur, les aides financières publiques consenties pour la mise sur le marché de ces logements (subventions directes et indirectes) ne sont alors pas récupérées. Si l’objectif d’accession à la propriété des ménages peut être atteint, c’est donc au prix d’un effort financier perdu pour les collectivités et pour la collectivité en général, puisque le prix du logement ne peut plus être maîtrisé une fois celui-ci revendu par l’accédant.
Technique de dissociation du foncier et du bâti et organismes de foncier solidaire
C’est sur la technique de la dissociation du foncier et du bâti, déjà pratiquée par plusieurs de nos voisins étrangers[2], que ce nouveau dispositif est fondé[3]. Et il se base sur un nouvel acteur : les organismes de foncier solidaire (OFS). Spécialement créés pour la mise en place de ce nouvel outil, les OFS sont des « organismes sans but lucratif agréés par le représentant de l’Etat dans la région, qui, pour tout ou partie de leur activité, ont pour objet d’acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements et des équipements collectifs conformément aux objectifs de l’article L. 301-1 du code de la construction et de l’habitation »[4]. A ce jour, plusieurs OFS ont déjà vu le jour : l’OFS de la Métropole lilloise (qui a signé le premier un BRS fin 2017, pour la création de 15 logements situés dans l’ancienne faculté de pharmacie, en centre-ville de Lille), le Comité ouvrier du logement Atlantique à Biarritz, le Foncier Coopératif Malouin à Saint-Malo, la Fédération des coopératives franciliennes pour l’Ile-de-France. D’autres sont en cours d’agrément, notamment à Rennes. La Ville de Paris a également engagé une réflexion à ce sujet.
Le principe est le suivant : des OFS acquièrent des terrains ou charges foncières nus, ou bâtis à réhabiliter, à des prix si possible compétitifs[5]. Ils les louent en BRS à des opérateurs, promoteurs ou bailleurs sociaux, à charge pour ces derniers de vendre les droits réels construits ou rénovés (appartements ou maisons) à des ménages sous conditions de ressources et à des prix cadrés[6]. L’OFS demeure donc propriétaire du foncier et l’accédant le devient uniquement sur la partie construite, en VEFA ou VIR. L’acquéreur ne paie donc que cette partie, qui, selon les zones, pourra correspondre à 60 ou 70 % de la valeur de la pleine propriété. L’acquisition est en outre réalisée avec un taux réduit de TVA (actuellement 5,5 %)[7].
En n’achetant pas l’entière propriété (foncier + bâti) mais uniquement les droits réels assurant leur logement, les ménages accèdent ainsi à la propriété de leur résidence principale dans des conditions de prix très attractives, avec toutefois la contrepartie de ne pas pouvoir bénéficier à la revente de la plus-value résultant du différentiel de taux de TVA, de subventions, de décote de prix, etc., laquelle reste attachée au bien immobilier dans sa globalité.
En pratique et par exemple, pour une opération réalisée par un promoteur qui vend les logements aux accédants, ce sont deux baux BRS qui devront être conclus par l’OFS :
- D’abord un BRS-« Initial », dédié au promoteur en charge de l’opération ;
- Ensuite un BRS-« Utilisateur », destiné à l’accédant.
Concrètement, si le bail « Initial » passé entre l’OFS et l’opérateur portera sur des biens à construire ou réhabiliter dans le cadre d’un état descriptif de division-règlement de copropriété, les droits réels immobiliers portant sur les logements cédés (appartements ou maisons individuelles) seront, eux, vendus par l’opérateur aux différents acquéreurs agréés par l’OFS. L’OFS interviendra pour confirmer cet agrément mais également pour consentir un nouveau bail notarié, pour la même durée initiale, individualisé sur le lot vendu (le bail « Utilisateur »). L’assiette du bail « Initial » consenti à l’opérateur sera de plein droit[8] réduite du ou des lots vendus par ledit opérateur. Quant au bail « Utilisateur », il sera prorogeable à chaque vente ou transmission à titre gratuit réalisée au profit d’acquéreurs/donataires éligibles au dispositif et agréés par l’OFS.
Les principales caractéristiques du bail réel solidaire
Les grandes caractéristiques propres au BRS, le distinguant des autres dispositifs, sont ainsi les suivantes :
1°. La stipulation d’une clause d’affectation du foncier qui restreint, dans la durée, les conditions d’utilisation du bien (en fixant des ressources et un prix plafonds) et conditionne les mutations successives (à titre onéreux ou gratuit) au respect de critères de ressources, d’usage et de modes de détermination des prix, ainsi qu’à un agrément de l’OFS. Cette clause assure le contrôle du dispositif sur la durée car, en cas de non-respect, la sanction est la nullité du bail[9] ou de la vente ou de la donation[10]. Elle créé également un droit de préemption au profit de l’OFS[11] : l’accédant n’est pas privé du droit de céder son bien ou de le transmettre à titre gratuit mais il ne peut le faire que sous certaines conditions d’éligibilité au dispositif du preneur pressenti. Si l’OFS préempte et résilie le bail, l’accédant sera indemnisé. En outre, le texte prévoit qu’en cas de décès du preneur, le conjoint marié ou pacsé bénéficie du maintien dans les lieux, et qu’un délai est laissé à la succession pour céder ses droits réels si les héritiers ne peuvent être éligibles au dispositif[12].
2°. La transmissibilité du droit détaché : le logement peut être vendu, ou transmis aux héritiers du preneur, sous contrôle de l’OFS[13].
3°. Le caractère prorogeable (« rechargeable ») du bail : c’est le cœur du BRS, qui constitue l’innovation et sa différence majeure avec les autres baux de longue durée existants. Par ce « rechargement » du bail à chaque vente ou transmission à titre gratuit, la durée du bail est prorogée de plein droit afin de permettre au nouveau preneur de bénéficier d’un droit réel d’une durée égale à celle prévue dans le contrat initial[14]. Ainsi, la valeur du logement ne s’érode pas avec le temps.
4°. Un caractère divisible, afin d’individualiser les baux par logement : la solution (contractuelle) consiste pour l’OFS, avant de conclure le bail, à organiser la division du foncier en lots dont les millièmes correspondront aux millièmes de copropriété attachés aux lots qui seront vendus par le promoteur. Il lui revient donc d’établir un état descriptif de division du foncier, dûment publié.
Il est en outre possible, via des divisions en volume (lorsqu’elles sont techniquement possibles), de créer de la mixité sociale dans les opérations immobilières complexes sans forcément recourir au BRS pour l’ensemble des logements. Certes, pour la partie des logements d’un programme qui sont destinés à l’accession sociale ou intermédiaire, le BRS semble indispensable. Mais pour la partie des logements destinés à un usage locatif, un bail emphytéotique (locatif social) ou un bail réel immobilier (locatif privé à vocation sociale ou intermédiaire) peuvent être utilisés. Pour la partie libre, l’OFS peut vendre un volume, s’il en est propriétaire mais n’en a pas l’usage. Inversement, l’OFS peut également acquérir un volume créé à partir d’un foncier à vocation plus large, afin de mettre en œuvre de manière spécifique la création de logements en copropriété à vendre en accession sociale, soit à des propriétaires occupants, soit encore à des investisseurs soucieux de participer à l’émergence de logements durablement sociaux par l’usage.
La fiscalité du bail réel solidaire
Sur le plan de la fiscalité, le régime applicable au BRS a été fixé à l’occasion de l’adoption de la loi de finances rectificative pour 2016[15]. Concernant la TVA, le régime du « BRS accession » de l’article L. 255-3 du CCH a été aligné sur celui du prêt social location-accession (PSLA)[16]. Pour le surplus, le régime fiscal du BRS fait écho à celui du bail à construction.
Concernant les droits d’enregistrement, le régime applicable semble être celui des baux d’immeubles à durée limitée. Ainsi le BRS est dispensé de la formalité et sa présentation volontaire ne donne ouverture qu’au droit fixe de 25 € prévu à l’article 739 du CGI.
Concernant la taxe de publicité foncière, une exonération est prévue pour l’OFS[17]. Cette exonération ne s’étend cependant pas à la contribution de sécurité immobilière qui reste exigible. En cas de mutations des droits des parties dans le cadre du BRS, le régime fiscal est celui applicable aux mutations immobilières. Le régime est aligné sur celui du bail à construction[18].
Enfin, concernant la taxe foncière, un abattement de 30 % peut être appliqué, sur délibération des collectivités locales et EPCI à fiscalité propre, en matière de taxe foncière sur la propriété bâtie[19]. C’est le preneur du BRS qui est désigné redevable légal de la taxe foncière sur la propriété bâtie, à l’instar du preneur à bail à construction[20].
Article rédigé par Gaëlle Le Dû,
Consultante du Centre d’Etudes et de Recherche du Groupe Monassier
[1] La loi Alur du 24 mars 2014 a créé les OFS. Le décret n°2016-1215 du 12 septembre 2016 permit leur création concrète. Concernant le BRS, la loi Macron du 6 août 2015 autorisa le Gouvernement à le créer par voie d’ordonnance. L’ordonnance n°2016-985 du 20 juillet 2016 le fit entrer dans le Code de la construction et de l’habitation (CCH, art. L.255-1 et s.). Deux décrets du 10 mai 2017 (n°2017-1037 relatif aux OFS et n°2017-1038 relatif au BRS) sont venus rendre opérationnel l’ensemble du dispositif.
[2] Notamment la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni, la Suède, les Etats-Unis. C’est en particulier le système du Community Land Trust (CLT) américain qui inspira les créateurs du BRS.
[3] Un groupe de travail fut mis en place à Lille au second semestre 2014, à l’initiative d’Audrey Linkenheld, députée du Nord, pour étudier les possibilités de création d’un nouveau dispositif d’accession sociale durable à la propriété et les conditions de sa mise en œuvre sur la métropole lilloise. Me Frédéric Roussel, alors notaire associé à Lille, membre du Groupe Monassier, fit partie de ce groupe de travail et contribua à la création du BRS.
[4] C. urb., art. L.329-1 al.1
[5] Notamment grâce au principe de la décote admise pour les fonciers de l’Etat (CG3P, art. L.3211-7).
[6] Les plafonds de prix de cession des droits réels et de ressources du preneur des droits réels sont ceux prévus pour l’octroi de prêts conventionnés pour les opérations de location-accession (CCH, art. R. 331-76-5-1) (CCH, art. R.255-1).
[7] CGI, art. 278 sexies I
[8] CCH, art. L.255-3 al.3
[9] CCH, art. L.255-17
[10] CCH, art. L.255-11
[11] CCH, art. L.255-15
[12] CCH, art. L.255-14
[13] CCH, art. L.255-10 à L.255-14
[14] CCH, art. L.255-12
[15] Loi n°2016-1918, 29 décembre 2016, art. 62 et 63
[16] CGI, art. 278 sexies I 13°
[17] CGI, art. 743 5°
[18] L’article 1378 ter CGI a été modifié en ce sens
[19] CGI, art. 1388 octies
[20] Bail réel solidaire – Une ébauche de régime fiscal pour le bail réel solidaire, N. Gonzalez-Gharbi, Construction – Urbanisme n°1, Janvier 2017, comm. 1