Par Jonathan ROCCA,
Notaire assistant à St-Denis de la Réunion
Office Groupe Monassier Océan Indien
La représentation des sociétés dans la vie juridique et l’appréciation des pouvoirs des représentants légaux sont une source récurrente de contentieux et de responsabilité dans les relations civiles et commerciales.
Quel mandataire social ne s’est jamais interrogé sur l’étendue de ses pouvoirs ? Cela intéresse tant le Président d’une société par actions que le gérant d’une société civile patrimoniale ou encore un tiers contractant.
Une nouvelle interrogation est née à l’occasion de la réforme du droit des contrats et des obligations, par laquelle le législateur a rajouté une pierre à l’édifice de la capacité des personnes morales en indiquant à l’article 1145 du Code civil que « la capacité des personnes morales est limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet […] ».
La matière connaissait déjà les critères de conformité à l’objet social et à l’intérêt social dont la jurisprudence s’efforce de préciser les contours. Très schématiquement, il importait jusque lors qu’une opération soit réalisée dans le cadre de l’objet pour laquelle la société avait été constituée et qu’elle soit conforme à l’intérêt social pour que la sécurité juridique soit assurée.
Aujourd’hui, l’opération doit également être utile à la réalisation de l’objet statutaire sous peine d’encourir une sanction radicale, la nullité de l’acte régularisé.
Notons que cette nouvelle disposition n’intéressera pas les sociétés à responsabilité limitée ni les sociétés par actions soumises à des règles spécifiques.
Cela conduit immédiatement à penser à l’autre plus importante catégorie de personnes morales, les sociétés civiles et parmi elles les SCI dont l’objet est usuellement l’acquisition et la gestion de biens immobiliers. Or il est fréquent que les SCI procèdent à des ventes dans le cadre de la gestion de leur patrimoine. Ces ventes seront-elles qualifiées d’utiles à la réalisation de l’objet social ? La réponse sera donnée à la lecture de la clause définissant l’objet de la société mais également à la lumière de l’interprétation par le juge des nouvelles dispositions du Code civil. Or s’agissant d’une modification entrée en vigueur le 1er octobre 2016, il faudra nécessairement patienter afin de bénéficier de l’éclairage des tribunaux. Du coté des dispositions statutaires, rares sont les statuts mentionnant les aliénations de biens sociaux dans leur objet puisque traditionnellement ces actes sont jugés comme étant les plus graves et par conséquent laissés à l’appréciation des assemblées.
En conséquence, en l’état actuel et au regard de la division de la doctrine, si l’on souhaite que l’opération soit parfaitement sécurisée, il sera nécessaire de procéder à une modification de l’objet social de la société pour y intégrer l’opération envisagée et de réajuster corrélativement les pouvoirs du gérant.
L’objet social était déjà la pierre angulaire des relations entre les mandataires sociaux, les associés et les tiers contractants, aujourd’hui il est également devenu un fondement de la validité des actes réalisés par les sociétés civiles.
Signalons toutefois que cette difficulté ne sera vraisemblablement que passagère.
En effet, à l’occasion des débats sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance de 2016, le Parlement, à l’initiative du Sénat, est revenu sur la rédaction de l’article 1145, afin de rétablir le statu quo ante.
Reste qu’en attendant l’adoption prochaine de la loi de ratification, le texte de l’ordonnance demeure en vigueur tel quel, et qu’il y a lieu de maintenir la précaution tenant à la modification des statuts de la société préalable à l’opération pour en garantir la sécurisation.